Beauté. Nom féminin. Ce qui plait, ce qui est beau à voir. À croire que l'être humain n'utilise qu'un seul de ses sens : la vue. Et le pire, c'est que ce sens est encore plus développé à l'adolescence. Entre les filles dites "canons", les garçons dits "bégés", et les premiers flirts, les premiers râteaux. Personnellement, Paisley ne s'est pris que des râteaux. Elle ne se souvient plus réellement du premier, ni même du deuxième, ou du troisième. Elle se souvient juste que cette époque a été vraiment difficile pour elle. Se réveiller tous les jours, et se dire qu'on ne fera qu'accomplir des choses en vain. Se mettre plein de rêves en tête, et les voir se briser tragiquement, ballotés par les flots d'un sombre futur. Et encore, si ce n'était que ça. Le physique, ce n'était qu'un détail comparé à l'autre douleur qui rongeait la jeune fille à cette époque. Depuis trois semaines, elle avait perdu son père, mort dans une mission à l'étranger. Militaire de profession, il avait tout donné pour son pays. Jusqu'à sacrifier sa vie familiale. La pauvre Paisley ne l'avait que brièvement vu : la première fois, elle se déplaçait encore en couche-culotte, et la dernière, elle était en pleine crise d'adolescence. Autant vous dire qu'il n'a été qu'une ombre au tableau, mais qu'on la sent cette ombre, surtout lorsqu'elle s'en va. Au loin, dans un autre monde, bien similaire au notre. On avance donc, la tête haute. On console sa mère, en lui promettant des jours meilleurs, alors qu'on a du mal à y croire soi-même. Saleté de monde. Saleté de destin qui privilégiait les mauvais aux bons. Saleté de roue qui ne tournait pas, et qui faisait la fortune d'autres. (...) C'est donc les yeux embués d'avoir trop remué les vestiges d'une belle époque que Paisley se rendit en cours ce jour-là. Elle les avait entendus ces garçons qui l'appelaient "Big Blondie", qui s'amusaient de son malheur, par pure méchante juvénile. La jungle des adolescents; critiquer ou être critiqué, manger ou être mangé. Après tout, c'était peut-être elle la conne dans l'histoire. C'était peut-être elle qui n'avait pas compris qu'ainsi allait la vie, et qu'elle devait s'y faire. C'était peut-être elle qui n'avait pas compris qu'il fallait se soumettre à la fatalité. Je dis non. Je dis que lorsqu'on a des convictions, il faut se battre pour elles, même s'il faut y laisser des plumes. (...) Tout en continuant d'avancer, la jeune fille eut un réflexe aussi bête que logique, qui fut de tourner la tête, afin d'observer son détracteur. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle vit le visage d'Elijah, garçon avec qui elle avait passé la nuit il n'y a pas si longtemps que cela. Elle s'imaginait déjà tout ce qu'ils pouvaient se dire entre garçons, comment il devait la malmener, alors qu'elle lui avait tout de même confié sa virginité. Et cette pensée la tuait, à petit feu, et elle en avait assez. Accélérant le pas, elle se surprit à pleurer pour un garçon qu'elle ne connaissait, après tout, que depuis peu, avant d'entrer dans les toilettes pour filles, et de se laisser glisser le long du mur, en criant presque, laissant sa peine éclater.

Oui, cette période a vraiment été difficile pour elle, mais à présent, elle commence enfin à prendre sa vitesse de croisière. Elle commence enfin à découvrir son corps, et à l'aimer, maintenant qu'elle a perdu pas mal de kilos. Elle respire, elle peut se promener tranquillement, et surtout, elle peut avoir n'importe quel homme qu'elle désire. Et elle ne s'en est pas privée fut un temps. Sortant tous les soirs, elle a accumulé les relations à court terme, avant de se rendre compte que cela ne pouvait pas être un but sur le long terme. Changeant donc de cap, elle prit un autre virage, et décida de devenir institutrice en école maternelle. Les enfants, à cet âge, étaient tellement adorables. Et c'est à ce moment qu'on leur inculque les bonnes choses, alors elle veut faire partie de ce mouvement. Elle veut changer les choses, elle veut bouger, autant qu'elle le peut, et changer les mentalités. La différence ne devrait pas être un défaut, mais un enrichissement, un critère de diversité. Et ce sont aux enfants de diffuser cet esprit, elle en est certaine. (...) Sinon, niveau cœur, disons que ça tangue sec de ce côté-là. Vous vous souvenez de ce garçon, avec qui elle avait couché par la première fois ? Et bien figurez-vous que monsieur est maintenant papa, et que son fils se rend à l'école où elle travaille. Pour taper du côté du hasard, bien entendu. Et comble de tout, monsieur ne la reconnait pas. Sûrement à cause du superflu qui a disparu depuis le temps. Et lorsqu'il comprit enfin la vérité, Paisley l'envoya paître. Elle avait assez longtemps joué la carte de l'imbécile qui a honte de ce qu'elle est. Non, maintenant, chacun chez soi, et les poules seront bien gardées. (...) Si c'était aussi simple que ça ... On ne repousse pas son passé, on ne peut pas le fuir indéfiniment, il finira toujours par vous rattraper. Surtout dans ce cas : vous êtes liés mes enfants, aucun doute là-dessus. Alors si vous avez manqué votre première rencontre, tâchez de mieux réussir la deuxième.