Ses insomnies revenaient fréquemment. Il avait des périodes. Cette nuit, il avait réussi à dormir une heure, pas plus. Mais il n'était pas fatigué. Après avoir tourné en rond de trois heures du matin jusqu'à huit heures, il avait décidé de partir courir, car ça lui vidait toujours l'esprit, ça. Il partit donc, avec de la musique dans les oreilles lui aussi. C'est au bout d'une bonne heure de course à un rythme soutenu qu'il arriva au pont. il était un peu plus de neuf heures du matin, et il aperçu une silhouette assise au bord du vide. En voyant la silhouette fine et les cheveux bruns et soyeux, il ne put que la reconnaître. Retirant ses écouteurs, il bifurqua pour aller vers elle, criant un : « Non mais ça va pas la tête ! » Eh bien oui, elle avait l'air d'avoir envie de sauter, enfin de son point de vue à lui c'est ce qu'il croyait en tout cas. Et il avait toujours été là pour l'empêcher de faire une connerie, même s'il la traitait très durement. C'était pour son bien, comme on dit.

✖ En vérité, il avait eu peur. Vraiment peur. Si là, elle sautait devant ses yeux, il pouvait sauter avec elle aussi car cela ferait trop. Il avait déjà assisté à ça. Déjà vu le corps de sa mère sept étages plus bas. Elle ne ressemblait même plus à sa mère, après une telle chute. Du coup, Orphée et les tentatives de suicide, c'était quelque chose qui lui restait en travers de la gorge. Il s'approcha d'elle, le regard sévère, quand elle lui répondit. Au moins ça la distrayait. « Ouais, ça s'pourrait bien ! Et j'devrais même y penser plus souvent ! » répliqua-t-il sur le même ton qu'elle, furieux. Il lui attrapa le bras, pour la forcer à se relever, espérant qu'elle ne lui oppose pas non plus trop de résistance même si il avait sans doute beaucoup plus de forces qu'elle. Il la regarda droit dans les yeux, le visage fermé. « Bordel à quoi tu joues exactement là, Brooke ? »

✖ Orphée ne savait rien de ce qui poussait Brooke à vouloir agir ainsi. Il avait juste connaissance de ses précédentes tentatives. Et depuis, il voulait la protéger. Parce que lui aussi avait souvent voulu quitter cette vie de merde, mais en hommage à sa soeur dont il se tenait coupable de sa mort, il s'était juré de continuer. Même s'il se détruisait tout seul à petit feu. « Ouais, ben j'préfère encore que tu te fasses des coups d'un soir plutôt de te voir là à regarder le vide du haut d'un pont. » répliqua-t-il du tac au tac, d'un air dur. Il ne pouvait pas s'empêcher d'être dur et sévère avec ceux qu'il voulait protéger. Il braqua de nouveau son regard perçant sur elle. « Non mais ça va pas ! faut pas que ça te traverse la tête, tu veux quoi, finir lâchement comme ça ? » Oui, il y allait fort, mais il voulait la brusquer pour qu'elle se rende compte qu'un suicide n'était pas rien. Et il parlait en connaissance de cause.

✖ Il sentait l'énervement monter en lui et agacé, il ne répondit pas de suite. En même temps, il avait du mal à lui en vouloir, car elle avait l'air d'avoir subit quelque chose de dur, de vraiment très dur et il ne voulait pas imaginer ce que c'était. Il avait sa petite idée sur la question. « Ce qui me dit que tu l'aurais fait ? Ta détermination. Parce que rien que pour avoir survécu jusqu'ici, c'est une preuve de courage. » Elle n'en avait sûrement rien à faire de ce qu'il lui disait. Mais tous les mots étaient pourtant sincères. « Je veux pas te faire parler. Les gens veulent me faire parler moi aussi et j'ai jamais rien dit pourtant. Je sais que parler fait encore plus mal. C'est pas ça que je veux, moi. C'est que tu te reprennes. Une enfance traumatisante peut te mener la vie dure, oui, mais ce n'est pas pour ça que tu dois te priver de vie non plus. » Et alors moi, qu'est-ce que je fais ? Il avait l'impression que ses propres mots étaient destinés plutôt à son cas à lui, s'identifiant dans la situation de Brooke. Il la suivit, la rattrapa & lui barra la route. « C'est pour toi que je dis ça. » Sa voix était plus calme.

✖ Ils avaient beaucoup de points communs. Plus qu'ils ne voulaient le croire certainement. Les choses vécues, la façon de les "surmonter". « C'est peut-être un manque de chance, mais au moins on acquiert quelque chose que les autres n'ont pas : l'instinct de survie. » répondit-il, passant directement au pronom 'on'. Il soupira légèrement. « Parce que je suis passé par là aussi, et que je peux t'aider. » Comme une preuve, il remonta la manche de son bras gauche, enlevant un bracelet qu'il gardait pour ne pas que les marques soient visibles. De son poignet jusqu'à son coude, à l'intérieur de son bras, était inscrit le nom de 'Rose' en traces sanglantes. Il fixait le regard de Brooke, puis remis le bracelet et secoua la tête, écoutant ses révélations. Il y eut un mot, un seul, qui le fit entrer dans une colère froide et sombre. 'Violée'. Il la prit par les épaules. « Qui t'a fait ça ? Brooke, qui t'a violée ? » Non parce que là, le mec était devant lui, la seconde d'après il n'existait plus. Au vu de son histoire, c'était quelque chose qu'il ne supportait pas. Absolument pas. Elle s'effondra alors dans ses bras & le moment de surprise passé, il la serra contre lui, lui caressant le dos. « Tout le monde peut être sauvé. » Sauf moi...

✖ Il était fort probable que ce soit lui qu'il cherche à convaincre, n'est-ce pas ? Après-tout, les années ont passé, et lui aussi restait piégé dans cet engrenage sans fin. Il fronça les sourcils, ne comprenant pas. « J'ai l'air de m'en être sorti, Brooke ? » demanda-t-il d'une voix soudainement presque effacée, faisant référence à son bras. Il secoua la tête, soupirant, passant une main dans ses cheveux bruns. « Que tu croies que j'ai réussi à m'échapper de ma prison de souvenirs me rassure ; au moins ça prouve que je suis bon comédien. » Il grimaça. Il avait passé des années à parfaire ce masque. A prendre le rôle de ce mec sûr de lui, arrogant et bien dans ses baskets. Mais le masque n'était justement qu'un masque. Il secoua la tête, lui lançant un regard désolé & tentant de se calmer. « Quel âge avais-tu ? » voulut-il alors savoir, conscient néanmoins de remuer des souvenirs qu'elle ne voulait peut-être plus entendre parler. Mais il voulait savoir. Il sentit ses mains se tenir fortement à lui et il caressa son dos avec un semblant d'affection, la tenant fermement contre lui comme si ça pouvait la protéger.

✖ Il ne répondit pas. Oui, il y avait des choses qu'elle ne savait pas, et qu'il n'était pas prêt à lui révéler là de suite. Lui dire quoi ? Que oui, il se laissait mourir. Avouer qu'il s'autodétruisait ? Hors de question. Il soutint son regard, impénétrable. Ses yeux, sombres, fouillaient ceux de Brooke. La question le prit au dépourvu. C'est vrai, pourquoi, au fond ? Il paru troublé pendant quelques secondes. « Parce que sinon, j'aurais fais comme ma mère et j'aurais finis sept étages plus bas en même temps qu'elle. J'avais quinze ans. Et si je ne l'ai pas fait, c'est parce que j'avais une soeur... dont je.. dont je devais m'occuper. » Cela ne lui passerait jamais. Il pouvait parler de la mort de sa mère sans faillir. Mais pas de Rose. Dès qu'il l'évoquait, il sentait presque son fantôme le hanter. Il grimaça quand elle lui donna la réponse à sa question. « Ton père ? » insista-t-il, ne sachant pas pourquoi elle lui parlait soudain de sa mort. Il fronça les sourcils. « C'était pas une connaissance de lycée qui t'a fait ça, n'est-ce pas Brooke ? » murmura-t-il doucement, avant de se détacher d'elle. « Bien. Je te ramène chez toi alors. »

✖ Il lui en fut reconnaissant qu'elle ne pose pas plus de questions. Il détestait parler de ça, il détestait livrer ces secrets à d'autres car il avait alors l'impression d'être faible. Il fronça les sourcils en secouant simplement la tête. Non, sa mère aussi avait mis fin à ses jours donc cela ne l'étonnait plus. Il ne répondit plus, attendant qu'elle comprenne ce qu'il insinuait. Il passa une main dans ses cheveux courts pour les ébouriffer puis posa de nouveau ses yeux noisettes sur elle. « Chut, chut... » murmura-t-il après qu'elle lui ait dit que c'était un prof. Il essuya les larmes sur le visage de Brooke, ne supportant pas de la voir comme ça. Il s'était totalement calmé et il caressa sa joue avec un semblant de tendresse et d'affection. « Tu veux plutôt aller chez moi ? » demanda-t-il, pas certain de vouloir la laisser seule chez elle après tout ça. Même pas sûr du tout.

désolée pour le retard.

Tu l'observes, quêtant le moindre signe dans son comportement qui trahirait un quelconque malaise encore une fois. Tu n'aimes pas la voir comme ça, vraiment pas. Tu continues de lui caresser les joues, pensant que ça l'apaise. Tu hoches alors la tête. « D'accord, alors viens avec moi. » Tu lui prends la main, comme si c'était tout naturel et l'entraîne alors loin du pont, loin du vide. Loin de sa mort programmée. Tu te demandes ce qu'il se serait passé si tu n'étais pas passé par là par hasard... mais décide de ne pas y penser, bien trop conscient de ce qui aurait pu arriver. Tu te diriges alors vers la première bouche de métro & prend deux tickets. Sans la lâcher, tu t'engouffres dans les souterrains, jetant un regard agressif à tous ceux qui la reluqueraient un peu trop à son goût. Maladivement protecteur, tu prends ton rôle très à coeur, ne désirant pas échouer comme tu as échoué avec ta soeur. Tu t'installes alors dans le métro et la fait asseoir à côté de lui. Tu cherches son regard. « Ca va mieux ? »

•• Il l'éloigne loin du pont, oui. Si elle avait sauté sous ses yeux, jamais il ne se l'aurait pardonné. Il a déjà assisté au suicide de sa mère, et à la mort de sa soeur. C'est bon, il n'aurait pas supporté autre chose. Une fois assis dans le métro, elle lui répond qu'elle va un peu mieux. Cela le rassure et il lui décroche un sourire rassurant, tandis qu'il sent ses lèvres contre sa joue. Quand elle pose sa tête contre son épaule, il passe son bras autour d'elle, comme pour la protéger. Il fera tout ce qui est en son pouvoir pour la sortir de là. « Ne me remercie pas. » Pour lui, c'est normal. Seul un psychopathe aurait laissé une suicidaire sur le point de sauter. Finalement, son arrêt arrive et il se lève, n'ayant toujours pas lâché sa main. Il est encore tôt, les rues s'éveillent, et il trace alors avec elle jusqu'à l'entrée de son appartement. « Bon, c'est tout petit mais bon... » Il ouvre la porte, la prévenant juste qu'il a un chien, et la laisse entrer.