Mes parents sont nés dans la misère. Dans le mensonge, dans le parjure, dans les hôtels miteux du centre de Stockholm, entre quelques poubelles, entre quelques étoiles, entre les reflux gourmand des pâtisseries chics qu’ils savaient inabordables, ces gâteaux colorés auxquels ils ne gouteront jamais.
Ma mère était issue d’une famille de chinois, fraichement débarquée des grandes allées verdoyantes des rizières de Yunnan avec le dernier espoir que la Suède pourrait les rendre riches et prospères. J’imagine avec le recul qu’ils se trompaient et peut-être que dans ses derniers jours d’épuisement, mon grand-père avait murmuré ce regret qu’il à porter comme un fardeau pendant toutes ces années. Les parents de ma mère n’étaient pas présents et quand ils l’étaient, ils passaient leurs temps à dormir, frapper et ordonner aux plus grands. Si le règne des adultes peut-être cruels, sadiques, celui des enfants peut l’être d’autant plus. Les grands-frères régnaient d’une main de fer sur la patrie, organisant une véritable hiérarchie. En tant que petite dernière, ma mère fut toute sa vie à la merci de ses frères et sœurs qui l’humiliaient et qui avaient, avec le temps, anéanti en elle la possibilité d’être heureuse. Elle fut très rapidement en échec scolaire, trainant ses savates dans les bars du coin pour épancher le vide qui se creusait au fond d’elle et qui creusait ses traits d’enfant mal nourrie. A 18 ans, son frère rentrant bourré d’une joyeuse sauterie avec ses copains de l’époque essaya de la violer contre la table en bois moisie dans cette piteuse cuisine que je peux aisément me figurer. Ce fut le geste de trop, celui qui changea tout et dans la lumière glauque des réverbères de Stockholm, ma mère s’enfuit.
Mon père était aussi un homme que la vie n’avait pas épargné. Originaire de Suède et artiste dans l’âme, sa famille n’était pas non plus un symbole de paix et d’amour. Père violent et alcoolique, mère absente et castratrice, il avait arrêter l’école pour se concentrer à sa première passion, la peinture, dans laquelle il n’était pas mauvais mais pour laquelle il crevait de froid et de faim. Il avait réussit à se trouver un petit appartement à 20 ans pour exercer et il dealait parfois et enchainait petit boulot afin de maintenir un petit train de vie pauvre mais confortable.
Et c’est ces deux êtres perdus, ces déchets de la société, ces rejetés, ces pourritures, ces pauvres gamins sans le sou et sans rêve qui un soir dans un bar glauque qui sentait le vieux et la bière, à l’occasion d’une danse au son un peu rayé d’un vieux CD, tombèrent amoureux.
Je fus le fruit de cet amour étrange qui fut pourtant un moteur de mon enfance. Ma mère s’installa rapidement avec mon père dans la petite garçonnière qu’il louait pour presque rien. Ils vécurent une année dans la peur car l’ombre de la famille de ma mère planait. Mais rapidement, après moultes pétages de gueules, un nombre incalculable d’insultes et une répudiation familiale, le petit couple que formaient mes parents purent enfin vivre leur petit bonheur. Elle fut rapidement enceinte, son ventre grossissant avec la petite graine que j’étais encore à l’intérieur. Je ne sais pas s’ils me voulurent ou si je fus un cas de force majeure qu’ils refusèrent de supprimer. Je ne sais même pas si ma mère eut un jour d’autres amants que mon père ou s’il fut sa première expérience sexuelle. Je crois qu’elle en eu d’autres mais elle n’en parla jamais. Mon père fut, est et restera l’amour de sa vie. Elle lui fut fidèle jusqu’à la mort, jusqu’au dernier souffle et cette fidélité fut réciproque. Même lorsque ma mère fut rongée prématurément par la vieillesse, mon père ne regardait qu’elle. Je crois que plus encore que l’amour en lui-même, ces deux êtres se comprenaient mieux que personne et ne pouvaient envisager une telle autre alchimie. Mon père m’a dit une fois « Tu sais Johan, il ne faut pas trop jouer avec la chance. Si ca marche une fois, contente-toi de ce que tu as déjà, ne joue pas trop avec le feu. C’est comme ça que l’on doit vivre les gens comme nous ». Les gens comme nous, les pouilleux, les pauvres, les incultes
Seulement voilà, dans ce rayon parfait, extraordinaire, incroyable, il y eut moi. On découvrit mon albinisme au troisième mois de grossesse. Ma mère fut très perturbée par cette annonce. Ses origines et vieilles croissances chinoises ressortaient d’un coup, comme quelque chose qu’elle avait enfouit au fond d’elle, qu’elle ne voulait plus voir et qui par le malheureux fait du destin ressortait par tout les pores de sa peau. Elle ne mangeait plus, ne dormait plus et je crois qu’inconsciemment elle voulut me tuer, parce qu’elle m’aimait déjà trop sûrement ou peut-être pas assez qui sait.
Mon père fut le plus calme, le plus attentif et le plus curieux. Il se renseigna beaucoup et n’étant pas très instruit, je sais qu’il lui fut difficile d’accéder aux grandes sphères de la science et particulièrement de la génétique. Il lui fallut gérer ma mère aussi ainsi que ses angoisses qui la hantaient jour et nuit. Il tenta de chasser ses démons par la science mais ce fut en vain tellement ses peurs prenaient goût à l’irrationnel. Elle pensait sorcier, incantations, magie blanche et magie noire. Mais contre toute attente, un soir, mon père, par le plus simple des recours pansa les blessures de ma mère. Il avait imprimé chez l’épicier du coin (qui lui filait son ordinateur de temps en temps contre quelques grammes de beuh) une photo d’une enfant albinos, une petite fille et la montra à ma mère en lui murmurant « Regarde, Xiao, ce sont les dieux qui nous envoient un ange ».
Je naquis un mois de décembre après 9h de travail pour ma mère et 9h à s’arracher les cheveux pour mon père. Ma mère me nomma Moon au grand dam de mon père qui me désirait sous le nom de Johan. Les deux prénoms me furent attribués mais Moon figura en priorité ma mère considérant qu’elle m’avait porté neuf mois et qu’elle avait donc bien le droit. Ma naissance fut un déclic. Bien que ma mère ne désira jamais d’autres enfants, je fus aimée, choyée et fut pour mes parents une motivation incroyable. Mes parents se ruinèrent au travail pour me rendre heureuse et je fus placé dans les meilleures écoles même si pour ça mes parents crevaient la dalle tout les mois.
Bien sur, je n’étais pas une enfant comme les autres. Les cheveux blancs, les yeux violets, j’étais une entité plus qu’étrange pour l’extérieur. Seulement mes parents m’enfermaient dans leur bulle avec eux, oubliaient le reste du monde et pour eux j’étais la plus belle chose au monde.
« Dis, pourquoi tu as les cheveux blancs comme les mamies ? Et les yeux violets dit ? »Assise sur ma petite chaise, je fixe le tableau devant moi. Le garçon à côté de moi, c’est Nils. C’est le seul de cette classe, le seul qui me pose des questions et qui ne fait pas que me montrer du doigt. C’est une fripouille qui passe son temps à rire et à se moquer des autres pendant que moi, « avec mes cheveux de mamies » je suis plutôt une enfant sage et douée pour l’école. Je suis renfermée mais je n’en souffre pas, bien au contraire car le monde ne m’intéresse, en tout cas, pas les gens.
Nils me pousse du doigt, me chatouille, me taquine. Il sait que c’est seulement comme ça qu’il aura ma réponse. Un sourire se dessine sur mon visage et son visage s’éclaire, il à gagner. Je me retourne doucement en fixant ces grands yeux bleus et d’un air taquin je lui lance « C’est pour faire parler les p’tits cochons aux yeux bleus, comme toi ! ».
Nous avons grandit ensemble. Je ne sais toujours pas ce qui nous reliait, ce qui faisait que nous étions si proches. J’étais une enfant renfermée, passionnée de mécanique, de sciences et de médecine. J’étais relativement garçon manquée, froide et caractérielle. Et c’était le stéréotype de la petite fripouille de bas étage, celui qui arrivait toujours à se foutre dans des histoires nulles, violentes et ou il finissait toujours par récolter quelques égratignures. Il était mon cobaye pour mes études prochaines de médecine et lorsqu’il fut en âge de conduire, j’étais celle qui passait mon temps dans les entrailles de sa bagnole pour remettre tel ou tel fil en place.
Nils était la coqueluche des filles. Il l’avait toujours été. C’était un beau garçon, un brin subversif, totalement incontrôlable ce que je trouvais personnellement terriblement agaçant et ce qu’elles trouvaient sexy. Au lycée, les rumeurs les plus folles couraient sur nous et derrière mon masque, je me fissurais à chaque remarque. J’étais et resterais toujours la petite albinos au physique si étrange. J’enviais cette popularité, cette fascination qu’il déclenchait chez toutes les femmes, des plus jeunes au plus âgées. Il s’en vantait devant moi, dandinant comme un coq. A cette époque, notre relation était tout ce qu’il y avait de plus innocent. Nous mangions ensemble, dormions ensemble et lorsque j’entrepris des études de médecine, nous emménageâmes ensemble dans un petit appartement à l’Est de Stockholm.
Puis il y eu Aymeric. Un petit brun dans ce grand paysage de blond, étudiant en médecine comme moi. Sur les bancs de la fac, je passais mon temps à le regarder rêveuse jusqu’au jour ou il daigna enfin m’adresser la parole. Moi si solitaire, caractérielle, je me mis a me féminiser pour lui plaire, à lui tourner autour et pour la première fois de ma vie, le petit jeu qui s’installa entre nous fit naître en moi un désir immense, un désir que je ne pouvais contrôler. Je ne savais pas ce que c’était. J’avais couché avec quelques garçons, sans le dire à personne, pour savoir si je pouvais plaire malgré mes particularités mais ce désir la ! Jamais. La première fois que nous avons fait l’amour, mon corps entier s’est embrasé dans ses bras. J’en étais folle, mortifiée, dingue.
Bien sûr, Nils ne voyait pas cela d’un bon œil mais je le prenais pour un sentiment bon enfant, pour un peu de prétention et j’imagine que c’était cela au début. Mais Nils n’était pas le genre à s’emmerder avec des histoires de filles et son obsession avec moi à surement finit par l’induire en erreur. Du moins, je le crois, je ne l’ai jamais réellement su.
Un soir, assise sur mon lit, je zappe les chaines de ma vieille télé en espérant que ma bourse tombera bientôt. Nils s’appuie contre ma porte.
« Tu l’aimes ? »Un ange passe, me glace le dos.
« Qu’est-ce que ca peut te foutre Nils ? »Il ricane. Il est habitué à cette vulgarité, cette froideur qui est la mienne. Il s’approche, m’allonge sur le lit, se glisse entre mes jambes, me surplombant.
« Ca fait des années que je t’attend, Moon. »Et il m’embrasse et il me touche. Et sans vraiment y réfléchir, l’union de nos deux corps est presque naturelle, plus douce, moins passionnelle qu’Aymeric, c’est différent. Il y à du respect immense dans notre danse, une pureté. Je me sens libre, je respire, tout est tellement flou dans ma tête. Cette tendresse enfermée en moi, il l’a libéré, il en avait la clé depuis toutes ces années. Et nous nous endormons et quelque part je le sais, il ne sera plus là demain. Nils n’est pas capable d’assumer une telle responsabilité, en vrai, il ne peut en assumer aucune. Nils est un garçon libre et je l’aime, l’ai toujours aimé ainsi. Si nous étions un couple, cette liberté lui serait retirée et notre enfermement ferait mourir cet relation que nous avions.
« Alors ? Ou c’est que tu pars faire ta spécialisation ? »Une jeune fille me parle mais j’ai l’esprit ailleurs. Aujourd’hui, cela fait 2 ans que Nils est partit et que je m’apprête à partir pour San Diego pour mes études. Je sais que c’est la chance de ma vie et pourtant, je suis terrifiée. L’idée du soleil m’angoisse terriblement ainsi que mes proches. Une partie de ma bourse, déjà dépensé dans mon voyage et mon logement sur place, me sert à acheter des protections solaires multiples dont des lunettes de soleil en plus des lunettes de vue qui m’ont déjà couté un bras. Ma vision est très mauvaise et cela est relatif à mon albinisme. De plus, le soleil dans les yeux ne pourrait qu’empirer les choses et bien sur cela me serait extraordinairement douloureux. Mais quand il faut, j’imagine qu’il faut.