« Maman, pourquoi papa il ne vient pas avec nous ? » Kaya Ella Gonzales, plus communément appelée Ella par ses proches ne comprenait pas vraiment la situation. Elle avait cinq ans et vivait avec sa famille depuis toujours dans ce beau pays qu’est Cuba. Enfin, bon pays n’était pas terme approprié car encore dans les années 1990, la politique n’était pas au beau fixe. Le bloc communiste chute et tous ceux s’opposant au pouvoir se retrouvaient punis. Certains étaient enfermés, d’autres tués. La peine de mort est toujours d’actualité. Le père des Gonzales se retrouvera enfermé dans l’une des prisons de La Havane, capitale cubaine. Plus jamais Ella ne pourrait le revoir. Mais ça, elle ne le savait pas encore.
« Il ne peut pas… Il travaille beaucoup et ne peut pas tout abandonner ! » avait annoncé la mère de la petite aux questions un peu trop perturbantes de la brunette. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que le président, Fidel Castro avait autorisé, après les émeutes de 1994, des centaines de cubains de quitter l’île. Ella en faisait parti. Sa mère aussi, ainsi que son frère et sa sœur. Mais pas son père qui fut arrêté.
« Mais… » Maria Gonzales posa son doigt sur la bouche de sa fille pour la faire taire.
« Chut » murmura t’elle simplement. Elle n’aurait jamais de réponse à sa question. Ella qui avait vécue jusqu’à maintenant une vie plutôt simple et sans problème se voyait confronter à la dure réalité. Ce qui l’attendait ? Un long voyage jusque San Diego, en Californie où elle retrouverait de la famille. De la famille qu’elle ne connaissait pas, mais qu’elle apprendrait à aimer. Une tante, un oncle et une cousine… détestable. Oui voilà, c’était le mot.
« Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça ? » demanda Ella à son meilleur ami. Hugo, c’était son prénom. Ils se connaissaient depuis presque toujours tous les deux. En fait, quand elle était arrivée ici, à San Diego chez sa super cousine (ironique évidemment), Hugo fut l’un des seuls à venir lui parler. Lui était très ami avec Lola, et malgré la tension qui existait entre les deux filles Gonzales, il avait de suite apprécié Ella.
« Rien ! Je me disais juste que t’étais quand même bien foutue, par rapport à Lola ! » Il avait éclaté de rire. Ella le toisa du regard. Comment pouvait-il comparer ces deux filles qui ne se ressemblaient tellement pas ? Enfin, psychologiquement, car physiquement, elles auraient très bien pu être sœurs.
« Ne me compare pas à elle s’il te plaît… » Elle avait soupiré. Elle savait qu’Hugo avait toujours bien aimée Lola. Même plus qu’aimer. Elle le croyait amoureuse de sa cousine, alors que c’était tout l’inverse. Mais il était tellement proche de Lola aussi.
« Surtout que je sais que tu la trouves canon ! » Bien oui, il fallait l’avouer, Lola était canon dans son genre. Brune, les yeux marrons, d’une silhouette qui en ferait baver plus d’un. Il ne dérogeait pas à la règle. Après tout, elle était quand même mannequin la Lola, en dehors des cours.
« Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? » avait-il ajouté avec un sourire narquois et des étoiles pleins les yeux. Voir défilé Lola, ça la rendait malade. Oui, malade, c’était ainsi. Jalouse ? Oh oui elle l’était !
« Rien du tout, laisse tomber ! » lança t’elle, blessée à l’égard de son ami.
« Où tu vas ?! » Elle se rendit dans la salle de bain à l’étage et alla se faire vomir. Pour la troisième fois de la journée. Manger, vomir. Manger, vomir. C’était devenu son quotidien. La boulimie l’avait envahi. Son corps la dégoutait, surtout à côté de celui de Lola, bien qu’elle n’ait franchement rien à lui envier. Seulement ça, personne ne lui a jamais dit.
Durant les vacances d’été, Ella travaillait comme serveuse dans un petit magasin du coin. Elle avait besoin d’argent pour payer ses études, puis aussi, elle n’aimait pas rester chez elle à ne rien faire. Cela ne servait à rien, à part ressasser des souvenirs, des regrets. Du moins, c’était ainsi qu’elle le voyait. Elle n’avait pas décroché de contrat mannequin comme sa cousine, non. Alors elle avait postulé dans cette petite boutique. Elle aimait plutôt ça. Et puis, c’était mieux que rien n’est-ce pas ? Il y avait un garçon qui travaillait là avec elle. Merwann. Physiquement, il était assez attirant, pourtant, ce n’était pas ce qui l’intriguait le plus chez lui. Elle le trouvait particulièrement attachant, bien qu’il semblait assez distant avec elle. Et avec tout le monde en fait.
« Merwann, Ella, vous ferez la fermeture ce soir ? » avait demandé Isabella, la responsable du magasin. La belle brune et le brun avaient acquiescés d’un signe de tête. Ella avait regardé son collègue de travail en souriant.
« Merwann, si quelque chose n’allait pas dans ta vie, tu me le dirais ? » avait-elle demandé au jeune garçon. Cela ne faisait que quelques semaines qu’ils travaillaient ensemble, pourtant, elle s’était grandement rapprochée de lui. Elle avait trouvé en lui un véritable ami. Pas à la hauteur de sa relation avec Hugo, mais elle l’appréciait beaucoup. Le brun l’avait toisé du regard et avait baissé la tête. Puis il s’était approché d’elle.
« Je… Bien sur que je te le dirais ! On est amis non ? » avait-il dit, laissant une Ella un peu perplexe. Elle haussa les épaules, en lui faisant un signe de tête. Bien sur qu’ils l’étaient ! Mais quelque chose tracassait le jeune homme, elle en était persuadée. Alors qu’elle commença à ranger quelques vêtements sur les étagères, il vint poser une main sur la sienne.
« Ella… J’ai un problème… C’est compliqué à expliquer mais… J’ai besoin d’en parler » Ella lui avait attrapé sa main, et l’avait emmené un peu à l’écart des clients pour l’écouter parler. Ella avait toujours été une personne à l’écoute, sensible et généreuse. Avec les personnes qu’elle appréciait un minimum. Et ce qu’elle entendit de la bouche de son ami la laissa de marbre. Le jeune homme se trouvait un peu dans la même situation qu’elle. Il était en irrégularité ici, n’avait pas de papier. Pas de logement fixe. Rien de tout cela. Alors la première solution qu’elle trouva pour l’aider fut de l’inviter à manger chez elle. Puis à dormir. Sans penser aux conséquences qui pouvaient exister.
Concernant Merwann, Ella n’avait rien dit à personne. Simplement, elle avait touché un mot à sa sœur lui disant que c’était un ami et qu’il avait besoin d’elle. Helena n’avait rien demandé de plus. Elle avait assez confiance en sa sœur pour savoir qu’elle n’hébergeait pas un criminel ! La mère des Gonzales était du même avis qu’Helena. Si ce jeune homme avait besoin d’aide, très bien, elles allaient l’aider. Après tout, elles-mêmes, quand elles avaient été dans la galère, avaient été heureuses de recevoir de l’aide de quelqu’un d’autre. Même si c’était toujours difficile de demander. Merwann venait de se réveiller quand Ella sortit de la salle de bain, encore en pyjama et qu’elle entendit sonner à la porte. Qui se pouvait-il bien être à une heure si matinale ? Ella descendit les escaliers en courant, suivi de Merwann qui lui, se rendait à la cuisine pour déjeuner. Elle ouvrit la porte en grand, découvrant sur le pas de sa porte, Hugo, son meilleur ami.
« Hugo ! Qu’est-ce que tu fais là, il est à peine huit heures du matin… Mais entre, je t’en prie ! » Hugo ne savait rien pour Merwann, simplement parce que la belle n’avait pas eu le temps de lui raconter. Il était rentré, et avait bien évidemment vu le jeune homme, en caleçon, dans la pièce principale.
« Euh.. Salut » avait lancé Merwann au meilleur ami de la belle. Un œil vers lui, un œil sur Ella, et il lança :
« Je te dérange peut-être ?! C’est qui lui ? Mais merde Ella, tu pourrais prévenir ! » avait-il dit, pris de colère. Il croyait quoi ? Et alors qu’il ouvrait déjà la porte pour s’en aller, elle tenta de le rattraper, en vain, et sortit devant la maison en pyjama.
« Hugo ! C’est pas ce que tu crois ! Reviens ! » Hugo, elle l’avait toujours beaucoup aimé. Il était son meilleur ami, mais aussi beaucoup plus que cela. Elle se savait amoureuse de lui, seulement, elle ne lui avait jamais dit. Parce que pour elle, Hugo était amoureux de Lola, la cousine d’Ella. Compliqué n’est-ce pas ? Un peu trop d’ailleurs.
« Shit ! » avait-elle crié en claquant la porte de chez elle, devant un Merwann totalement déboussolé et perdu. Elle soupira, rejoignant la salle de bain, pensant pouvoir s’expliquer avec Hugo, un peu plus tard. Pas maintenant, tant qu’il était énervé. Ce n’était pas le moment…
Premier jour à l’université. Médecine. Ce sont les études qu’elle avait choisi. Toute sa vie, sa mère avait économisée pour offrir à Ella le parcours scolaire qu’elle méritait. Son ambition ? Devenir pédiatre. S’occuper des enfants, des tout-petits, les soigner. Elle se trouvait sur le campus, entre deux cours, lorsque son téléphone se mit à sonner. Helena. Sa grande sœur. Que lui voulait-elle ?
« Hell ? Qu’est-ce qui se passe ? » Bien oui, Helena ne l’appelait surement pas juste pour lui demander comment elle allait.
« C’est maman… elle a du retourner pour Cuba » Ella ne comprenait pas. Sa mère vivait avec elle depuis toujours à San Diego, alors quelle raison la pousserait à y retourner, maintenant ?
« Quoi ? Comment ça ? Pourquoi ? » demanda t’elle, surprise.
« Un problème avec… notre père. Il devait être libéré » Il devait être libéré ? Et pourquoi ne l’apprenait-elle que maintenant ?
« Quoi ? Et pourquoi tu ne m’as rien dit avant ! Est-ce qu’elle est déjà partie ? Je veux aller avec elle ! » cria t’elle, alors que tous les étudiants semblaient se retourner sur elle.
« Je ne le savais pas Ella, maman ne m’avait rien dit ! Elle est déjà partie ; et toi, tu restes ici avec moi, chez tante Clara. En plus, tu as une compétition dans moins d’un mois. Il faut que tu sois prête ! » Le tournoi de tennis… elle avait complètement oublié. Avec tous les efforts qu’elle faisait pour maigrir et ainsi rejoindre les rangs de mannequins de Lola, elle en avait oublié son sport favori.
« Je… je m’en fiche du tennis, je veux y aller ! » avait-elle déclara à sa grande sœur.
« Tu ne peux pas. Tu connais l’état actuel de la politique cubaine. On ne peut pas y retourner ou on finira comme… » Comme qui ? Son père ? Et sa mère alors ? Allait-elle aussi être arrêtée par les autorités cubaines ? Elle n’en savait rien, mais une chose était certaine, elle n’était pas prête de la revoir. Elle devait continuer sa vie maintenant, à San Diego, sans ses parents. Comme une réfugiée, une fugitive.