Un rendez-vous chez mon psychologue, un énième depuis mon arrivée à San Diego il y a moins d'un an. Je pensais en avoir fini avec tous mes problèmes et pourtant, je continuais de payer ces foutues séances. Dans le fond, ça me faisait du bien, ça me soulageait, me détendait de parler de mes soucis. A qui pourrai-je en parler sinon ? Je ne connais personne dans ce coin ! Quoique si, juste un proche de ma famille et encore, le terme 'famille' a déjà été bafoué depuis longtemps. Et pour ce qui est de l'infidélité de mon ex petite-amie ? Ca sera au prochain numéro.
Dans l'immédiat, je cesse de m'étaler et vous narre l'un des premiers entretiens effectués à San Diego.
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L'atmosphère s'avérait tendue voire électrique. Cela se sentait rien qu'en pénétrant dans la pièce. Cette dernière était d'un style plutôt classique avec quelques tableaux accrochés aux murs, des bibelots ornant une table et de la paperasse par millier. Les deux grandes étagères étaient couvertes dans leur totalité de bouquins et autres dossiers sur la psychologie. Quant à moi je restais immobile, serrant le jeu de clé de ma voiture, une vieille Mustang que j'avais retapé avant de venir dans cette ville. Je me demandais ce que je foutais ici. Je me rappelle encore les paroles de de ma mère qui m'avaient forcé à consulter un psy à cause de mes problèmes avec l'alcool lors de ma période 'je suis un jeune adulte qui se rebelle'. Pourtant, même maintenant âgé de vingt-huit ans, j'avais encore des problèmes avec l'alcool. J'étais qu'un con, je me le répétais sans cesse ; tout ce qui comptait pour moi c'était que j'amasse de l'argent, que je puisse picoler en paix, que j'ai de belles femmes dans mon lit, une belle maison, une splendide voiture et un beau chien. Le reste ? Je m'en foutais. J'avais fait des études, trop d'études mais de la prison, ça c'était le plus important. Je m'étais pourtant bien rebeller contre l'administration de mon bahut mais ça, c'était tout autre chose. «
Asseyez-vous monsieur Riggins, je vous en pris. » J'acquiesçais, déposant mon manteau contre le dossier de l'une des deux chaises puis pris place sur le sofa, m'étalant de tout mon long et venant à croiser mes doigts sur mon torse. «
Bien, lors de notre précédent entretien, notre séance a été écourté par un appel téléphonique de l'un de vos clients, je me trompe ? » J'acquiesçais une fois de plus, ne désirant pas le contredire au vue des circonstances de ce 'précédent appel' justement. J'avais été dans l'obligation de quitter la séance plus tôt que prévu sachant que j'avais réussi à dégueuler aux pieds du psychologue ; quelques jours plus tard, j'avais contracté la grippe. Je vous passe le monologue qui s'en était suivi après cette envolée furtive . «
Bien, reprenons. Vous êtes propriétaire d'un hôtel aux abords de San Diego n'est-ce pas ? Depuis combien de temps avez-vous monté votre propre affaire ? » Son regard se braqua un instant sur moi alors qu'il commençait à griffonner sur son calepin. Je plissais brièvement les paupières puis pris la parole, apparaissant comme un type normal n'ayant aucun problème. Pour la deuxième remarque, permettez-moi d'émettre un doute. «
C'est bien ça. Ça fait maintenant quelques mois que j'ai acquis cet hôtel. Sur un coup de tête, j'ai décidé de le rénover et d'y loger les vacanciers et même les habitants de la ville. Je pense que ma mère serait fière de moi si elle voyait que j'ai enfin fait quelque chose de ma putain de vie. » Je décroisais mes doigts puis me redressais tranquillement. Au loin, j'entendis des éclats de rire qui me firent songer à des éclats de verre. «
Votre mère, parlez-moi en un peu. Que faisait-elle dans la vie ? Était-elle mariée ? Avez-vous des frères/soeurs ? Parlez moi de votre vie monsieur Riggins. » Ca débutait fort. J'avalais machinalement ma salive avant de lisser les pans de ma cravate en soie. J'étais songeur, pensant à ma mère qui, de la où elle me surveillait, devait bien se marrer. J'avais pas l'air ridicule à me confier à un type que je ne connaissais pas et qui osait me poser des questions auxquelles je n'avais jamais répondu. Pourtant j'allais faire un effort, juste pour elle, ma mère. «
Ma mère s'était vraiment quelqu'un de bien. Elle avait du cœur pour tout ce qu'elle faisait. Quand j'étais gamin, elle m'engueulait beaucoup parce que j'étais vraiment un garçon assez rebel. Je le suis encore d'ailleurs. » J'esquissais un doux sourire puis reprit, levant mon regard au plafond auquel je portais soudainement un si grand intérêt. «
Elle était professeur de français en Irlande, marié à un riche avocat, mon père. A eux deux, ils ont eu deux enfants : moi, l'ainé et Siobhàn, la plus jeune, ma soeur. J'ai vécu de bons moments avec eux jusqu'au jour où tout s'est cassé la gueule, pardonnez-moi l'expression (...) » Ma voix se faisait plus grave, plus sombre par moment à mesure que je racontais mon récit. Je lui fis part de la liaison extraconjugale de mon père avec une bonne femme rencontrée lors d'un voyage à Paris. Je lui parlais également de la descente aux Enfers de notre propre famille lorsque mon père avait demandé le divorce après avoir tenté de recoller les morceaux. Pourtant, peu de temps après l'annonce officielle de leur divorce, ma mère s'est foutue en l'air : se jetant sur les rails d'un train. Ma sœur et moi-même en étions devenus malades à tel point que la semaine suivant le décès de ma mère, je m'étais pointé au domicile de mon présumé père et lui avait fait payer ses années de mensonges et d'absence à coups de poings, de crochets et d'injures. Si j'avais pu, je l'aurai expédié directement au cimetière sauf que ma conscience m'en avait défendue. Alors pour me soulager, je m'étais posé chez moi et avait commencé à faire rejaillir mon vieux démon : l'alcool. Les bouteilles s'étaient rapidement enfilées et je n'avais même pas remarqué que ma sœur avait assisté à cette triste scène. J'avais fini par craquer et éclater en sanglots ; les larmes brûlants les plaies saignantes de mon visage, déversant toute ma rage à l'encontre de ma sœur. Au fond, c'est elle qui avait su me soutenir et me rééquilibrer. Je fis également part à mon interlocuteur de ma passion pour la musique et les tatouages. Une autre manière de ne plus songer à mon passé et à mes erreurs commises. «
Depuis combien de temps buvez-vous ? Êtes-vous chez les ... » Je lui coupais aussitôt la parole, ne lui laissant guère le temps de répondre. «
Les Alcooliques Anonymes ? Oui, j'ai ma carte. Vous savez, il m'a fallu du temps pour réaliser que j'étais un alcoolo. Beaucoup de temps. Mais avec toutes les années qui sont passées, j'ai pris conscience du fait qu'il ne fallait pas bousiller sa vie ainsi. C'est pas ce que ma mère aurait voulu. » Ma gorge était quelque peu nouée, à moins qu'il ne s'agisse que de la déshydratation. Je me permis tout de même de demander à boire histoire de ne pas me retrouver sans voix lors de nos prochaines questions (...)
«
Bien. Revenons-en à un sujet plus joyeux vous le voulez bien ? Où allez-vous passer vos fêtes de fin d'année et avec qui par exemple ? » Je déglutis. Je n'avais même pas songer un seul instant à la période de Noël, des cadeaux, du jour de l'An et de tout le bordel que ça risque de créer. «
Honnêtement, je ne pense pas fêter Noël. Je n'ai ... » J'hésitais. «
Je n'ai pas grand monde avec qui discuter ici. Je pense que je vais écumer les bars où passer le réveillon dans une boîte de nuit. Ca reste à voir. » Même si je ne pouvais apercevoir le visage de mon interlocuteur, je savais qu'il fronçait les sourcils et que mes remarques semblaient être un point sur lequel il pouvait me titiller - comme tant d'autres cela dit - «
Alors, pourquoi êtes-vous à San Diego, monsieur Riggins ? C'est tout de même l'une des ville où la période festive est assez importante. » Il ne comprenait pas ; pourtant, avec tout ce que je lui ai dit, je pensais qu'il avait au moins saisi. «
J'ai été en prison pendant un an monsieur Evansson. Après quoi, j'ai décidé de changer de vie, voilà pourquoi je suis venu dans cette foutue ville. Et sachez que ma mère est décédée durant la période de Noël. Voilà pourquoi je ne la fête plus. » Cette remarque mettait fin à notre entretien et le médecin semblait bien l'avoir compris. Froid, je me contentais simplement de me relever du sofa, ajustant à moitié mon tee-shirt et mon pantalon. Il était désormais dix-sept heures et il était clair que la séance n'avait que trop durée. Dans l'immédiat, je ne fis qu'agripper mon blouson, reprenant mon sac et ne lançant qu'un bref «
Au revoir monsieur Svensson. » avant de passer le pas de la porte, dérouté après cette séance où tant d'évènements venaient d'être énoncés.