❝ Je suppose que l’on vous pose souvent la question, mais est ce que César a réellement vécu ici ? ❞ « Dis, pourquoi on est frères et sœurs et on s’appelle pas pareil ? » Elle en pose des questions elle. Qu’est-ce que j’en sais moi ? J’ai sept ans depuis dix jours, je suis encore au CP, je ne me demande pas des trucs comme ça.
« Peut-être que c’est un truc qui marche qu’avec les frères. Tintin, Ninix et moi, on a le même nom. Les filles, ça a un nom différent et voilà. » Ca fait quoi ? Un mois que ma mère, mes deux frères et moi, on vit dans cette nouvelle maison. Un nouveau papa, une nouvelle sœur du même âge que moi. Tout change encore une fois et pourtant, on est habitués maintenant. On s’adapte juste encore une fois à une nouvelle famille. Le principal, c’est que les Davenport restent toujours ensemble.
« Tu dis que du caca, je connais des filles qui ont le même nom que leur frère. » « Bah j’en sais rien moi, peut-être que t’as pas été sage alors tu peux pas être une Davenport. » Faut sûrement le mériter pour porter notre super nom de famille.
« N’importe quoi, tu fais plus de bêtises que moi, c’est toi qui mérite pas d’avoir le même nom que moi ! » « Naaaan c’est pas vrai, c’était toi qui avais renversé le lait dans le lit de maman ! » c’était une bonne idée ça quand même. Surtout que ça avait bien crié après. Personne n’avait été reconnu coupable dans l’affaire mais moi, je savais bien que c’était elle. Normal, c’était moi qui lui avais donné l’idée.
« Je l’ai fait parce que t’avais dit cap ou pas cap tête de schtroumpf ! » Et elle, elle m’obéissait parfaitement. La sœur parfaite. En espérant la garder longtemps celle-ci.
« En parlant de schtroumpf, cap ou pas cap de parler schtroumpf pendant toute une journée ? » « Cap mais seulement si tu le fais avec moi ! » « C’est de la triche ça, tu copies mon cap ou pas cap ! » « T’es pas cap alors ? » « Bien sûr que si, ne me schtroumpf-estime pas. » « Tu vas schtroumpfer ce que tu vas schtroumpfer. » Et c’est parti pour une journée tout à fait normale dans cette maison de fous. Les autres se prennent au jeu, personne ne comprend totalement ce qu’on dit mais c’est le but après tout. Sûrement une des meilleures familles qu’on a formé si on devait me demander mon avis. Enfin il y en a tellement eu que le choix est difficile. Le prince charmant est difficile à trouver pour une femme mère de trois garçons – parfaits au passage. Mais nous, on est pas malheureux, on ne manque pas d’amour. On a juste appris à ne pas trop s’attacher, histoire de ne pas laisser un bout de cœur dans chaque famille qu’on quitte. On reste unis, quoi qu’il arrive.
❝ Parfois la seule chose à faire, c’est de se serrer dans les bras une dernière fois et renoncer. ❞ « Comment va la plus belle des patientes ce soir ? » Question conne Berlioz, question conne. Tu sais déjà la réponse, bien sûr que ça ne va pas.
« Mieux depuis que tu es là, tu éclaires ma journée, t’as pas idée. » Et ce joli sourire qui te tue. Parce qu’elle ne mérite pas ça, parce que personne ne mérite ça, encore moins elle
. Pourtant, je lui retourne son sourire.
« Je voudrais passer tout mon temps avec toi, ce serait parfait. Mais malheureusement, je ne peux pas. » « L’heure des visites est presque finie en plus, c’est vraiment trop triste. » Jules n’a que dix-sept ans et pourtant, elle a tout compris à la vie. C’est triste de penser que c’est une demoiselle qui va mourir qui a compris le but de la vie. Elle ne s’apitoie pas, elle ne pleure pas, elle reste forte. Parce qu’elle sait qu’elle ne peut pas faire grand-chose d’autre. Elle s’y est habituée. Je suis plus triste qu’elle ne l’est. Pourtant, je ne la connais pas depuis longtemps. Deux mois. C’est comme si je la connaissais depuis toujours mais elle n’est qu’une petite partie de ma vie. Une partie à laquelle je n’aurais pas dû m’attacher. Je n’ai pas résisté à son joli sourire, à sa force malgré tout ce qui l’accable. Elle va mourir, ce n’est qu’une question de jours, peut-être même d’heures. Elle ne m’a jamais menti. Elle sait la vérité, elle ne la cache pas. Depuis que je l’ai rencontrée dans un couloir d’hôpital, que je l’ai aidée à se relever après une chute, elle m’a dit
« Ne t’inquiètes pas pour moi, je vais mourir de toute façon. » sans aucune peine dans sa voix. Ce n’était pas une fatalité, juste la suite logique de sa courte vie. Elle le savait depuis des années, elle avait vécu sans se priver, sachant que le moment viendrait.
« Merde, une infirmière, planque-toi ! » Sans attendre une seconde de plus, je suis sous son lit. Ils ne vont pas m’empêcher de voir Jules non plus. Les horaires de visite, on s’en fiche. On n’a pas la vie devant nous, on n’a que la nuit, autant en profiter. Je ressors de sous le lit et nous rigolons le plus discrètement possible.
« Tu sais ce dont j’ai toujours rêvé ? » « T’as pas intérêt à dire que tu veux un vrai baiser de cinéma avec Léo DiCaprio, j’aurais du mal à te le donner. » Il m’a fallu du temps avant d’adopter cet humour qu’elle garde toujours avec elle, qu’importe la situation. Mais ce qu’elle veut, c’est du bonheur, pas des gens déprimés de la voir partir.
« T’es con Davenport ! » D’où elle insulte un Davenport elle ? Si elle n’était pas dans un lit d’hôpital, je lui aurais déjà fait une super prise de karaté.
« J’ai toujours voulu lancer des bombes à eau sur les gens depuis le toit et me foutre d’eux. » « Attends, t’as jamais fait ça de ta vie ? Mais qu’est-ce que t’attends hein ? » C’est pas une vraie vie si t’as jamais aspergé les gens.
« J’espérais que t’allais dire ça. J’ai demandé à un gamin de m’acheter des ballons, regarde. » Pauvres gens qui oseront passer à côté de l’hôpital ce soir, ils se feront tremper par nos soins. Le malheur des uns fera le bonheur de Jules et moi ce soir. Prenant les ballons qu’elle me donne, je vais les remplir d’eau, autant que possible.
« Comment on va les transporter ? » « Prends mon drap, ça devrait le faire. » « T’as tout prévu en fait » Mais la plus grande question reste quand même : comment on va la transporter, elle ? Mais je ne doute pas qu’elle ait prévu ça aussi.
« Bon je crois que si je prends ma perf, cet appareil là et ça, ça devrait le faire. » Rien ne sert de lui demander si elle est sûre, je sais que la réponse est non. Mais je ne peux pas la priver de cette joie.
« Allons-y alors ! » Je l’aide à se lever, on emporte ce qu’il nous faut et on se met en chemin. Il suffit d’arriver à l’ascenseur et tout ira bien. Juste arriver jusqu’à l’ascenseur sans se faire repérer. Encore quelques pas.
« Davenport ? C’est toi ?! » Pris la main dans le sac. Le sac en question étant un drap rempli de bombes à eau. Je me retourne pour découvrir une autre interne. Elle bosse avec moi parfois. [color=cadetblue]« Qu’est-ce que tu fais là ? » Son boulot sûrement mais autant lui poser la question avant que ce ne soit elle qui la pose.
« Je bosse idiot. Et toi, tu aides quelqu’un à s’échapper d’ici ? » Avant que je puisse répondre, Jules prend la parole.
« Il m’aide juste à finir ma vie en beauté, il ne fait rien de mal. » « Vous n’irez nulle part si vous prenez tout ce bazar. » Elle s’approche et décroche un appareil du bras de Jules. Je la regarde faire, elle a l’air de s’y connaître.
« Et attends, il faut aussi prendre un médoc, ça ira mieux avec. » Elle trouve rapidement un chariot et donne plusieurs comprimés à Jules. Elle lui laisse la boîte.
« Vous ne m’avez jamais vue ici hein ? » Nous sourions. Je n’aurais jamais pensé qu’elle ferait ça.
« Oh c’est quoi dans le drap ? Des bombes à eau ? Je peux venir ? » Comment résister ? Deux filles sur un toit, des bombes à eau, une soirée parfaite. Nous montons enfin dans l’ascenseur et la soirée peut enfin commencer. La nuit noire est bientôt remplie de rires, de cris, de gens trempés. Jusqu’au moment où Jules commence à s’étouffer. Sa toux ne passe pas, elle empire même.
« Qu’est-ce qui se passe ? » L’interne prend la boîte de médicaments et regarde rapidement la notice.
« Merde, ne me dis pas qu’elle est sous médicaments à base de morphine ? » Je n’en sais rien moi, je ne suis pas son médecin. Mais vu sa réaction, c’est sûrement le cas.
« On fait quoi maintenant ? » « Je vais appeler l’ascenseur ! » Je soulève tant bien que mal Jules pour la ramener à l’intérieur. Il nous faut de l’aide. Mais ses jambes tremblent et elle finit par tomber. Je me mets à genou à côté d’elle et là, dans son regard, je sais. Elle sait. C’est la fin. Alors je fais la seule chose normale à faire, je l’embrasse. Son premier baiser. Son dernier. Deux minutes plus tard, elle n’est plus. Et moi, je pleure. Parce que je n’ai pas pu empêcher ça, parce que j’ai même accéléré les choses. L’internet revient vers nous et se rend compte que nous sommes tous les deux dans la merde. Pourtant, elle organise tout à merveille. Elle fait croire que c’est Jules qui s’est trompée de médicaments, qu’elle est sortie de sa chambre seule et qu’elle est morte dans un couloir. Seuls elle et moi savons la vérité. On ne peut pas mettre nos futures carrières de médecins en danger pour une erreur de débutants. Un dernier regard vers le corps sans vie de ma patiente préférée, une promesse de ne jamais rien dire et l’histoire est finie. Même si elle restera toujours avec moi, un poids de culpabilité qui ne s’arrange pas avec le temps.