chapter one – survivre {banlieue de londres}Survivre. Il fallait fuir. Partir, loin d'ici. Ne pas se retourner. Ne pas s'affoler. Ne pas montrer qu'on était mort de trouille. Ne pas lui dire. Cacher ses petits yeux innocents.
Survivre. Courir, encore. Partir, toujours. Mais surtout, ne pas lui dire. Ne pas lui faire comprendre qu'il n'y avait plus d'espoir. Que leur mère ne rentrerait pas parce qu'elle s'était jetée du balcon. Parce que sept étages plus bas, elle n'avait eu aucune chance de s'en sortir.
Non, ne pas lui dire. Elle n'avait que huit ans. Ne pas lui dire. Ne pas lui montrer. Aller la chercher à l'école. Ramasser avant quelques affaires. Les mettre dans un sac, ou bien deux. Ne pas se poser plus de questions.
Se pointer devant l'école. Ne pas laisser les voisins venir frapper à la porte. Ne pas laisser les flics demander s'ils avaient un père. Une tante. De la famille. Ils n'avaient plus rien.
Plus rien.
Alors il fallait fuir. Swann a quinze ans et pourtant, même s'il est orphelin, il ne pense qu'à une chose : Rose, sa soeur de huit ans qui ne se doute de rien. Elle ne se doute pas qu'en rentrant du lycée, son frère a cherché sa mère dans toute la maison. Qu'il ne l'a pas trouvée dedans, mais en se penchant au-dessus du balcon de la cuisine. C'était récent.
Elle les avait abandonnés. Elle n'avait rien laissé. Ni argent, ni explications. Pas d'adieux, pas de mots. Juste son corps démembrés à l'entrée de l'immeuble. Horrible cadeau. Du sang, partout. Des images qui le hanteront, encore longtemps.
Mais pour l'instant, il pensait à Rose. La sauver, la préserver de ça. Lui dire qu'elle était partie et c'était tout. Il lui dirait la vérité. Un jour. Quand elle sera plus grande. L'attraper à la sortie de l'école. Elle lui demanderait ce qui n'allait pas, mais il lui dirait de se taire. Elle est gentille, elle comprendrait. Elle ne dirait rien. Elle suivrait.
Et ils fuiraient. Partir, loin d'ici. Loin de cette banlieue maudite où l'on finissait tous comme ça ou avec une corde autour du cou. S'il avait été seul, il aurait certainement abandonné aussi. Mais il ne l'était pas. Il devait la sauver. L'éduquer. La rendre heureuse. Il était ce qui lui restait de plus cher. Leur grand frère, Mike ? Disparu, depuis deux ans déjà. Il ne fallait compter sur personne, ne faire confiance à personne. Ne pas se retourner. Ne pas ralentir, ne pas réfléchir. Se lancer et improviser. Un seul but, un seul objectif.
Survivre.

chapter two – la traque {new york}Il lui avait dit. Elle avait mal réagi. Elle s'était enfuie. Elle n'avait plus huit ans maintenant, mais douze. Et lui, dix-huit.
Et il le savait. Les mecs de la cité lui avaient parlé de Rose. Ils la trouvaient « bonne ». Il n'avait jamais apprécié qu'on parle d'elle comme ça.
Après s'être enfuie pendant deux jours, elle était rentrée. En larmes. Pas les pleurs d'une enfant, mais les sanglots d'une adulte. Elle n'était plus une enfant. Ils avaient fait d'elle une adulte. De force.
Swann était instoppable. Il allait les retrouver. Ils l'avaient violée.
Il allait les traquer.
C'est là que la chasse commença. Ils étaient trois. Deux étaient plus vieux que lui, et un avait son âge. Mais rien ne l'arrêterait. Ils avaient touché à la seule chose qui comptait aux yeux de Swann. Rose était la prunelle de ses yeux, et ils avaient eu tord d'y avoir touché. En plus, Swann était dévoré par la culpabilité. Il aurait peut-être dû lui annoncer le suicide de leur mère autrement. Pour qu'elle ne s'enfuit pas. Il avait eu peur de ne jamais la revoir. Mais elle était finalement revenue vers lui. Violée.
Ils allaient y passer. C'était eux ou lui, mais Orphée ne laisserait jamais passer ça. Quand il les trouva, il réussit à venir à bout d'un des mecs aux mains. Un deuxième avait un flingue mais il réussit à s'en saisir pour le descendre. Le troisième, le plus âgé, réussit à s'enfuir. Mais Swann voyait rouge.
Jamais ils n'auraient dû ne serait-ce que poser les yeux sur sa soeur.
Il allait devoir le retrouver. Alors, il se mit en chasse. Dans la rue, il avait appris à se défendre. A se battre, pour se faire respecter. A se faire discret, pour voler. A disparaître, pour ne pas se faire arrêter. Il n'avait peut-être fait aucune étude, il savait une chose essentielle : survivre.
Il laissa la moitié de ses économies à sa soeur, débrouillarde elle aussi, pour continuer sa traque. Il devait retrouver ce type. Venger ce qu'il avait fait à Rose. Le tuer. En un mois, il parcourut la moitié de l'Europe. Mais il n'arrivait pas à mettre la main sur le violeur de sa soeur. A chaque fois, celui-ci lui échappait. Jusqu'au jour où, en Italie, il réussit presque à l'avoir. Mais celui qu'il traquait lui laissa un indice. Il ne marqua seulement que « chaque jour de liberté est un acte de foi. » C'était tiré d'un film. Du film "Les Insurgés". On s'en fichait, c'était vrai. Cela ne voulait rien dire. Pourtant, Swann compris. Il prit le premier avion pour Londres.
Il avait ce mauvais pressentiment. Il devait retrouver Rose. S'assurer qu'elle allait bien. Il avait peur. Oui, pour la première fois, il avait peur. Peur pour elle. Il avait l'étrange impression qu'un malheur s'annonçait.
Il fut chez lui le lendemain. Mais sa proie avait déjà frappé et il arrivait trop tard. Dans leur appartement miteux, sa petite soeur était allongée sur le sol, les bras en croix. Ses yeux bleus et grands ouverts le fixaient avec un mélange de peur et de colère.
Morte.
Elle était morte.
Rose avait été assassinée. Deux balles, une à la tempe, l'autre dans la poitrine. Elle n'avait eu aucune chance.
En parler aux flics ? Sûrement pas. Ils n'avaient jamais servis à rien et Swann les détestait plus que tout. Non, il allait le retrouver lui-même.
Et mettre fin à tout ça.
Il réussit à apprendre que le voyou s'était enfui vers les states. Il le suivit. Lui tomba dessus à New York. Il n'eut pas même le temps d'ouvrir la bouche qu'il était mort.
Et de nouveau, il lui fallait fuir. Courir, encore. S'enfuir, partir loin d'ici, ne pas se retourner. Faire le deuil de Rose puis enterrer l'idée que c'était de sa faute et qu'il n'avait même pas pu l'enterrer.
Elle était morte dans la poussière, comme sa mère.
Au hasard, Swann choisit San Diego. Avec un nouvel objectif, mais qui avait un goût de déjà vu.
Survivre.

chapter three – un nouveau départ {san diego}Un nouveau départ. Il le fallait bien.
Trouver un job. Un appartement. Se créer un masque, comme si on allait bien. Comme si de rien n'était.
Cacher ce qu'il était devenu. Renfermé. Violent. Solitaire.
Devenir souriant. Tenir droit. Social.
Il y avait des efforts à faire, mais Swann les fit. Il réussit à trouver un boulot : stripteaseur et il gagnait un peu plus en dealant parfois. Il avait plongé dans la drogue et l'alcool, mais cela l'aidait à tenir le coup et il avait peur qu'en arrêtant complètement, il replonge dans la déprime de la mort de Rose.
Il se créa alors le masque du jeune homme coureur de jupons, souriant, déconneur, qui prend tout au second degré. Mais dès que les attaches devenaient trop solides, il disparaissait. Il ne voulait plus s'attacher. Plus perdre.
Solitaire, indépendant, mais pas méchant, il ne parle de son passé à personne.
Les autorités ont abandonné de chercher un tueur pour les trois types de NY tout comme pour sa soeur. Il faisait parti des bas fonds. De ceux dont on se fout, dont on ne cherche pas. Ceux qui ne manqueront à personne. Ceux qui ne sont là que pour mourir dans la poussière.
Mais cela avait forgé le garçon, qui depuis ses vingts ans, vivait donc à San Diego. Couchant à droite et à gauche. Se débrouillant comme il pouvait.
Qui dit nouveau départ dit nouveau nom. Il avait laissé son prénom, Swann, derrière-lui et prit son deuxième en préférence.
Mais toujours le même espoir auquel s'accrocher, la même petite flamme, le même instinct qui courait dans ses veines comme l'adrénaline à laquelle il se dopait en courant après le danger et l'inconnu :
Survivre.