« Pouvez-vous m'accorder cette danse, mademoiselle DeWitt-Bukater ? » Encore un de ces fichus bals qu'elle détestait plus que tout, où elle aurait tout donner pour éviter d'y être. C'était toujours la même chose : le rassemblement des familles de la haute société, en longues robes de dentelle pour les femmes et smokings Armani pour les hommes, les cheveux parfaitement coiffés en arrière, tenu à grand renfort de gel. Ces commérages sans fin à propos de tout et de rien et surtout de la prétendue relation de la fille de cet aristocrate avec un homme provenant d'une classe inférieure, à tirer sur leurs pipes, boire du brandy et du champagne qui coûtait des milliers d'euros, manger du caviar et exécuter des danses de tango, de cotillon ou de valse. C'était d'un ennui. Évidemment, si ce n'était à cause de l'obligation de ses parents, jamais elle ne s'y serait rendue. Mais le cas contraire aurait été impossible : les Waldorf avait une image à tenir, et ce, depuis des siècles. Son père, Owen, était le descendant direct d'une lignée d'aristocrates anglais, à la tête d'une fortune colossale. Il était le parfait stéréotype de ces hommes provenant de classe supérieure ; toujours vêtu de costumes luxueux, invité aux soirées les plus prisés, travaillant sans relâche pour diriger les restaurants et hôtels cinq étoiles dont il était le pdg. A vrai dire, il n'avait aucun besoin de bosser, étant donné que l'argent dans son compte lui suffisait largement pour mener la vie dont il souhaitait, mais Owen disait toujours que les vrais hommes ne devaient cesser de travailler. Durant sa jeunesse, il avait fréquenté les meilleures universités, et c'était d'ailleurs à Oxford qu'il avait rencontré celle qui deviendrait sa femme. Mélanie de Livois. Fille d'un noble baron français, la jeune femme était née et avait grandi à Biarritz, prestigieuse station balnéaire de la côte atlantique française, avant de décider d'entreprendre ses études de sociologie à l'université d'Oxford. Un coup de foudre entre eux deux, parait-il. Si bien qu'ils avaient fini par sortir très rapidement ensemble, avant de se marier en grande pompe à Londres. Cependant, Owen était tombé amoureux de Biarritz et c'est là-bas qu'ils avaient décidé de s'installer définitivement, dans une sublime villa face à la mer. C'était le mariage cliché de gens de la bonne société : le mari souvent absent, occupé par son travail et l'épouse qui reçoit ses amies pour prendre le thé et discuter des derniers potins, dans un enivrement de parfum à l'odeur vanillé, probablement Dior ou Chanel, accompagné de gloussements et d'éclats de rires discrets. Chacune se vantait des dernières prouesses de leurs époux, ou de leurs enfants, tentant d'en mettre plein la vue aux autres femmes présentes dans l'immense salon. Puis une question revenait sans cesse : « Et vous Mélanie, pensez-vous à avoir un enfant ? » Mélanie n'avait jamais aimé ce train de vie. Elle avait été élevée à la dure par sa mère, qui ne rechignait sur aucune règle et qui lui avait enseigné les bonnes manières pour intégrer cette haute société. La belle blonde devait sans cesse faire attention à tous ses faits et gestes, et ce, depuis gamine. Pas de vulgarité, parler poliment, s'asseoir comme il faut, manger de la bonne façon... Elle s'était souvent sentie comme un robot, à qui l'on indiquait quoi faire. Mais avec le temps, elle s'y était résolue, étant donné que de toute façon, se rebeller n'aurait servi à rien, sauf à se faire éjecter de la famille par ses propres parents. Peut-être, une fois qu'elle serait mariée, serait-elle libre. Mais, pas du tout, cela n'avait changé en rien. Ainsi, De Livois s'était faite la promesse que si un jour, elle avait des enfants, elle se montrerait plus compréhensive et douce que ne l'avait été sa propre mère. Alors, elle répondait que oui, elle y songeait, que oui elle aimerait avoir un enfant. Et son souhait fut réalisé puisque deux mois plus tard, la jeune femme tombait enceinte. Un évènement qui ravit leurs familles respectives, qui attendirent avec impatience l'arrivée du bébé. Neuf mois plus tard, le seize mars quatre-vingt treize à la clinique privée de Biarritz, vint au monde l'unique enfant des Waldorf : Aislinn Eléa-Sage.

Aislinn était une enfant calme, paisible, loin du modèle de gosses qui crient et pleurent à longueur de journée. Lorsqu'elle fut en âge de marcher et de comprendre petit à petit les choses, sa mère, qui passait le plus clair de son temps en sa compagnie, l'aidait à faire des puzzles, des coloriages ; où encore elles regardaient toutes deux des dessins animés à la télévision, avant d'aller faire un tour sur la plage, histoire de construire des châteaux de sable et tremper les pieds dans l'eau chaude. Elle avait grandi dans un environnement stable, et aimant, entouré de gouvernantes et d'une famille qui l'ultra-chouchoutaient, n'ayant manqué de rien. Très tôt, comme tous les petits provenant de familles aisées, on lui apprit les bonnes manières, afin qu'elle les assimile le plus rapidement possible. Si son père se montrait plus autoritaire, lorsqu'il était là, sa mère elle en revanche était plus attentionnée. Elle ne posait pas de limite à sa " blondie ", comme elle aimait l'appeler. Car, déjà petite, Aislinn était dotée de la même blondeur que Mélanie, avec un visage parfaitement ciselé. En grandissant, elle fit tourner bien des têtes. Mais, la jeune fille n'y prêtait pas vraiment attention. Et pour cause ; elle était bien trop occupée à se retrouver avec sa bande d'amis, qui étaient ses voisins par la même occasion. Mais, Aislinn ne mit pas ses études de côté, bien au contraire. Passionnée par l'école et avec la soif d'apprendre chaque jour de nouvelles choses, la jeune fille était une élève exemplaire, appréciée par tous ses professeurs, qui faisaient des pieds et des mains pour l'avoir dans leurs classes. Pour elle, se retrouver le soir avec un amont de devoirs n'était pas une corvée, et à la limite, elle préférait ça plutôt que d'aller dans une fête bruyante, où tous les jeunes seraient complètement bourrés ou défoncés. Parfois, elle se demandait si elle était une adolescente normale. (a) Mais cela ne la gênait en rien, et elle avait de grandes ambitions, comme intégrer le cursus de politique une fois qu'elle serait admise à l'université, espèrant devenir présidente de France, où pourquoi pas, de l'Amérique, son grand rêve.

On lui avait toujours reproché d'être froide, voire arrogante. C'était vrai, elle n'était pas l'une de ces personnes à être d'une générosité infinie, à sourire à tout bout de champ et se montrer très agréable. Pour la jeune fille, ceci relevait plus de l'hypocrisie qu'autre chose. Elle n'était pas méchante pourtant, et lorsqu'on lui demandait de l'aide, elle ne refusait pas. Mais elle avait appris à se méfier avec le temps, de tous ces soi-disants amis opportunistes, simplement intéressé par son argent et son statut. De ce fait, accorder sa confiance en quelqu'un relevait vraiment du challenge. Eléa, c'était l'adolescente un peu introvertie, qui se montre que très peu aux soirées, qui préfère largement aller se poser sur la plage avec un bon sundae framboise, une revue de Vogue à la main. Le même caractère que sa mère. La jolie blonde avait ses pricipes également ; elle ne fumait pas, bien qu'elle avait envie d'essayer, buvait que très peu, seulement durant les grandes soirées, et ne couchait pas. Du moins, pas avant le mariage comme elle disait, même si l'on ne savait jamais ce que la vie nous réservait.

La fin du lycée approchait, et c'est avec une excellente mention qu'Aislinn obtint son baccalauréat, avant de s'envoler pour San Diego, pour commencer ses études universitaires, filière politique qu'elle a opté, prête pour une nouvelle vie, un peu loin de toute cette société qui l'a usé, d'une manière.

Levant la tête vers le jeune homme qui venait de lui demander une danse durant le bal de cotillon, Waldorf esquissa un léger sourire, avant de répondre : « Peut-être un peu plus tard ? »