Tout débuta un treize février 1989 ; ma naissance fut longue et quelque peu douloureuse pour madame Monroe. Cette australienne de vingt-trois ans venait enfin de mettre au monde son deuxième enfant, une fille pesant pas moins de trois kilos et quelques. Les grands yeux de ce petit être vinrent alors à s'ouvrir timidement. Ses petits bras se dirigèrent vers celle qui était désormais sa mère pour le restant de sa vie. Les parents l'appelleront Evidence-Jules. Aux côtés de la mère résidait un autre enfant ; d'une taille et corpulence moyenne, des cheveux d'un brun foncé, des yeux noisette océan ainsi qu'une peau pâle. Aucun doute, il s'agissait bien de Leonard-Dan Monroe, le frère de ce nouveau-né. Un peu plus loin, l'air ébahi, trônait son paternel : monsieur Monroe, un irlandais pur souche. Un sourire angélique s'afficha rapidement sur les lèvres de cette petite famille réunie dans la chambre confinée. Charlie semblait être un ange tombé du ciel et pourtant, sa vie ne faisait que débuter, remplie de longues péripéties et probablement semée d'embûches.
Mon enfance se déroula sans grande peine. J'allais à l'école, me faisais des amis. J'étais toujours celle qui entraînait les autres à commettre des bêtises, des actes et gestes idiots. Je me faisais souvent punir en primaire mais généralement, ce n'était pas bien grave au vue de mes excellentes notes que je ramenais à la maison. Petite, je me disputais souvent avec mon frère - plus âgé que moi - mais outre ses disputes purement fraternelles, nous nous aimions. A l'époque, je n'étais pas aussi admirative vis-à-vis de lui que je ne le suis maintenant. Il a toujours été là pour moi. Parfois, je m'amuse à me remémorer ce jour d'été où je m'amusais dans le bac à sable - je devais avoir trois/quatre ans - et qu'un gamin plus âgé m'avait poussée. Je m'étais mise à pleurer et mon frère m'avait vengée. Il était mon sauveur tout comme mes parents étaient mes héros.
Mon père est un homme ayant une grande influence en Irlande. Riche industriel aux multiples talents, il a su s'y faire un nom et semble plus respecté que jamais. Pourtant, je connaissais l'autre facette de mon père : derrière ce visage si impassible et froid se cachait un homme bien plus cruel encore. Je n'avais aucun doute sur le fait qu'il fasse parti du réseau mafieux d'où toute cette richesse qui coulait à flot chez nous. Pour ma part, cela arrangeait mes affaires ainsi que celles de mon frère puisque nous pouvions nos offrir tout le luxe dont nous désirions. C'était la belle vie. Jusqu'au jour où un macabre accident de la route couta la vie à ma mère. J'avais vingt ans à l'époque et je me rappelle que cette nouvelle avait effondré toute notre famille. Mon père le premier. Puis, les années s'étaient écoulées terriblement rapidement, arrivant à l'âge de vingt-et-un ans. J'entamais une nouvelle année à l'université de Dublin - prestigieuse université irlandaise - en médecine. Mon rêve ? Poursuivre dans la voie politique. J'étais très douée, je le savais et tout le monde me le disait. C'est durant les vacances d'été de la même année que tout bouscula pour moi. Je me remémore cette scène où j'étais tranquillement assise dans le canapé du salon, relisant un bouquin sur la littérature américaine, lorsque mon père déboula dans la pièce - costume trois-quarts Prada, ceinture et cravate Ferragamo. Très chic, comme à son habitude - et me coupa dans ma lecture. «
Je t'envoie à San Diego chez ton oncle, Jules. » Je notais le
Jules, inséré méticuleusement dans la conversation ; donnant un air plus solennel à la discussion. Je levais les yeux vers mon paternel tentant de savoir s'il plaisantait. Il s'avérait plus sérieux que je ne le pensais. «
Pourquoi papa ? » Nous avions toujours cette habitude de discuter dans notre patois irlandais. A cran, je l'observais longuement. Mon père est quelqu'un qui sait particulièrement bien masquer ses sentiments. Nul doute qu'il en avait gros sur le cœur lorsqu'il me vit partir. Pourtant, il m'avait tout expliqué. J'allais à San Diego pour
me permettre de décrocher un boulot convenable mais également, renforcer les liens avec cet oncle qui avait fait parti de mon enfance et dont je n'avais plus eu de nouvelles jusqu'alors. Foutaises. Il me dégageait car il avait des problèmes. Mais je ne fis pas d'histoires et m'exécutais : je m'étais résignée à rester auprès de mon père et avais fait mes valises.
Le petit oiseau a pris sa volée. J'ai désormais vingt-trois ans et cela fait deux ans que je me suis installée à San Diego. Là-bas, c'était le coin idéal pour concrétiser mon rêve. Cultivée, indépendante et riche, quoi de mieux rêver ? Je suis une jeune femme travailleuse, bosseuse et qui n'a pas froid aux yeux. Et puis je trouve qu'une bourge pétée de tunes dans un tel endroit, ça en jette. Je faisais tout pour que ça se remarque. J'étais bien décidée à rentrer dans le rang de ces jeunes qui risqueraient d'avoir un avenir prometteur. Pour cela, il fallait que j'acquière une certaine côte, que je sache manipuler autrui, jouer de mon charme et que je montre que j'en voulais. Être battante, voilà ce que je devais être. C'était du tout cuit. Sans compter que je m'appuyais sur le compte en banque de mon père pour satisfaire toutes mes envies.