Une semaine. Cela faisait une semaine que je n'avais pas vu Eliaz, que je ne lui avais pas parlé et que je n'avais répondu à aucun de ses appels. J'étais perdue. Je me sentais stupide, tellement idiote ! Comment avais-je pu croire l'ombre d'un instant qu'il avait changé ? Il avait toujours été cet homme à femme, dragueur comme pas deux et distribuant ses sourires ravageurs comme un facteur répandrait son courrier du jour. Il n'avait pas changé. Enfin si, il avait changé. Mais pour une autre femme, dont j'avais découvert l'identité par pure hasard, un après-midi dans une petite galerie d'artiste adjacente au Timken Museum. Alanis. Ce nom, je l'avais en horreur même si je ne connaissais pas cette fille. Mais je savais qu'elle était arrogante, froide et distante. Et follement jalouse de surcroit, envers toute femme qui avait le culot de s'approcher de son fiancé. Son fiancé, autrement dis Eliaz. Au volant de ma voiture, cette vieille épave des années 90, mes mains se crispèrent sur le levier de vitesses et je balançai ma tête en arrière pour la taper contre le dossier de mon siège. Merde ! m'écriai-je en repensant à toute cette histoire. J'étais conne. Et pathétique en plus ! Lui qui il y a quelques jours semblait si libre et avec qui j'avais passé un si bon moment... Ses yeux m'avaient hypnotisé, son regard m'avait transporté. Je n'étais pas ce genre de fille à qui la tête tourne pour un rien, mais là mon coeur avait ressenti ce pincement indescriptible. Et voilà que j'apprenais qu'il allait se marier. Déjà, apprendre qu'il était en couple avait été un choc, mais savoir qu'il avait passé la bague au doigt à une autre femme en plus de flirter avec moi ? Oh pour sûr, il s'était bien foutu de ma gueule et devait être en train de rire aux éclats dans sa petite villa sur Pacific Beach...
En parlant de Pacific Beach, voilà que je me trouvais dans la rue principale, à quelques cent mètres de la maison de celui qui occupait toutes mes pensées et pour qui j'avais tant de rancoeur à présent. J'appuyais sur la pédale d'accélération puis pila devant une grande villa. Sur la boîte aux lettres on pouvait y lire "Mr. Haverton". J'aurais voulu arracher cette petite étiquette, la piétiner et la réduire en miette ! Mais je n'en fis rien. J'avançais dans l'allée d'un pas décidé. Je ne savais pas ce que j'allais lui dire, tellement de choses se bousculaient dans ma tête ! Je grimpais alors les marches jusqu'au perron et sonnai. Une fois, deux fois, trois fois. Je me fichais bien qu'il soit en plein déjeuner, dîner, entrain de dormir ou en pleine discussion importante. Je sonnai de manière frénétique, passant ma colère sur ce petit bouton qui faisait "ding-dong". C'était toujours ça que je ne lui balancerais pas en pleine figure...

La porte s'ouvrit et l'expression d'agacement sur le visage de Eliaz se transforma en un regard d'incompréhension. Salut Jazz..! Salut Jazz ? C'était tout ce qu'il trouvait à dire ? Les mots se bousculaient dans ma tête et résonnaient comme sur la coupole d'une salle mal insonorisée. J'aurais pu écrire un dictionnaire d'injures et d'insultes à cet instant précis, mais rien ne sortait. J'avais tellement de mal à croire tout ça, j'en venais même à me demander pourquoi est-ce que j'étais là ? Bien, il avait une copine. Ok, il ne m'avait rien dit. Génial, il était fiancé. Moi j'étais son amie, rien de plus, pourquoi je m'enflammais autant ? J'aurais voulu me raisonner, mais tout semblait si faux dans ma tête. Pourquoi jouait-il avec moi, avec mes sentiments ? Non, je ne parlais pas de sentiments amoureux bien sûr. En fait des sentiments de... de quoi ? Merde, j'en avais aucune idée. Trop bonne, trop conne, c'est bien ce que l'on dit après tout ? Ce qu'il me prend de sonner comme ça ? Je répétais sa phrase presque à sa suite, insurgée qu'il me pose cette question. J'imagine que t'as pas jugé bon de m'en parler, c'est vrai, après tout je suis quoi pour toi ? Non mais tu te fiches vraiment de moi Eliaz, je sais même pas pourquoi je suis là ! J'agitais mes mains dans tous les sens, accompagnant des paroles grands gestes pour mieux me faire comprendre. Au fait, il faudrait que tu penses à changer le nom sur ta boîte aux lettres, des fois qu'elle reçoive des messages elle aussi... Mr. et Mme. Haverton, ha ! la bonne blague. J'avais mis ma phrase en suspens et la repris finalement : ... histoire d'être sincère au moins une fois dans ta vie. Il me regardait dans les yeux, mais mon regard à moi le foudroyait. Je ne voulais laisser place à aucune faiblesse, de toute façon, sa vie à lui était déjà toute tracée, visiblement...

J'étais complètement perdue, je ne savais pas quoi penser de toute cette histoire et encore moins de son comportement. Il semblait tout aussi dérouté que moi, cherchant une quelconque explication dans mon regard, bien que pour moi tout fut clair. Et lorsqu'il insinua que j'avais perdu la tête, je ne su comment réagir tellement j'étais atterré. Je trouvais ma réaction plutôt normal pourtant, pour une fille qui venait de découvrir que l'un ses plus proches amis était sur le point de se marier avec une fille qu'elle ne connaissait pas, elle qui de surcroit ne savait pas qu'il était en couple alors qu'au début de la semaine, ils étaient entrain de flirter dans son salon. Je tombais des nues, de très hauts et lui osait lui dire que je perdais la tête ? Il insinuait que j'étais folle, que je ne savais plus ce que je disais et que je l'avais inventé ? Bien sûr, Dieu me l'avait soufflé pendant la nuit et mon petit doigt me l'avait répété... Foutaises. J'étais prête à partir, à prendre mes jambes à mon cou et retourner chez moi au volant de ma voiture, cette vieille épave qui en plus n'avait presque plus d'essence. Le comble du glamour, clairement... Mais je ne bougeais pas, je le regardais fixement, le regard en feu. Comment ça tu vois pas de quoi je parle ? Comment tu peux m'affirmer que c'est faux alors que tu ne comprends même pas ? Je levai les yeux au ciel, c'était tellement fou. Ca, moi, lui, tout. J'avais l'impression d'être au coeur de l'intrigue principale d'un film hollywoodien. Alors tu vas me dire que tu n'es pas en couple ? Que tu n'es pas fiancé et que tu ne vas pas te marier ? Tu vas aussi me dire que tu ne connais aucune Alanis, bien sûr ? Qu'elle a tout inventé, qu'elle serait venu me le dire à moi, qui suis proche de toi, et personne d'autre ? Comme par hasard. Je hochais la tête de gauche à droite en soupirant puis me reculai, prête à rebrousser chemin dans l'allée. Mais je faillis trébucher sur l'une des marches et glisser. Heureusement j'avais un bon sens de l'équilibre et me rattrapai pour éviter le pire. Je fis un pas de plus en arrière. Aies au moins le courage de me l'avouer en face Eliaz... au moins ça.

Si j'avais confiance en lui ? Bien sûr que j'avais confiance en lui ! Enfin, peut-être. En tant normal, j'aurais répondu oui sans même hésiter tellement la question m'aurait paru absurde. Mais là... cette fille avait réussi à m'embrouiller le cerveau, il faut croire. Je ne l'avais jamais vu, comment pouvait-elle savoir qui j'étais ? Et de la même manière, comment avait-elle su que je connaissais Eliaz ? Et pourquoi avait-elle une photo de lui sur elle ? Pourquoi vouloir à tout prix me rendre jalouse ? C'était ridicule. Sans queue, ni tête. A n'en plus rien comprendre. C'était ton ex ? Une grande brune, peintre dans une galerie d'art minable ? demandai-je, plus pour avoir la confirmation que pour le lancer sur le sujet. Une phrase retenu cependant mon attention. “(...) étant jalouse de nous deux.” Nous deux, WTF ? Je tournai la tête à droite puis à gauche dans l'allée déserte et grimpait les quelques marches menant au perron d'Eliaz. Puis il planta son regard dans le mien et me posa une question qui m'arracha un long frisson. Pourquoi le prenais-je si mal alors que nous n'étions pas ensemble ? Je sondai la prunelle de ses yeux, moi-même incapable de répondre à la question. J'aurais voulu crier "JOKER", abattre mon jeu et me barrer au volant de mon épave roulante. Mais bien sûr, cela m'était impossible. Et puis, je pouvais même pas m'expliquer parce que le pire, c'est que je n'avais aucune idée du pourquoi de ma réaction. Je crois que je l'ai mal pris. Merde Eliaz bien sûr que je l'ai cru, elle semblait tellement sincère, heureuse et amoureuse... et en plus elle avait une photo de toi sur elle, comment tu voulais que je me doute de quoi que ce soit ? répondis-je en essayant de me défendre. Je me suis dis que je comptais pas assez pour toi pour que tu m'en parles, surtout qu'on s'est vu en début de semaine et... je sais qu'on est pas ensemble, je te remercie pour ta clairvoyance. J'esquissai un léger sourire, amusée par le fait qu'il ai pu penser une seule seconde que je m'imaginais comme tant sa petite amie. C'était absurde, encore une fois. Enfin, je crois... Ou alors peut-être essayai-je de m'en persuader ? Donc t'es pas fiancé ? Même pas en couple ? répétai-je comme pour m'en convaincre. Whaou, je... t'as souvent l'habitude de sortir avec des psychopathes ? Jalouse de nous deux, c'est insensé ! Ca veut rien dire.

Bien, alors cette fille avait un grave problème de rejet intérieur qui la poussait à s'approprier l'un de ses exs et le faire passer pour son futur mari juste pour dissuader les amies de ce dernier de l'approcher ? Je ne savais pas ce qui était le plus étrange, ça ou la demande fictive en mariage. Mais bizarrement, cette révélation me soulagea d'un poids. Un énorme poids. Si elle ne supporte pas qu'une autre fille s'approche de toi, elle aura du fil à retordre avec moi, avouai-je en lui livrant mon tout premier sourire de la journée. Il était clair que maintenant, cette fille était fichée dans mon esprit et cataloguée en gras sur la liste rouge. Manipulatrice, rusée, prête à tout et surtout... diablement bonne comédienne. Bordel je me suis faite avoir comme une bleue mais qu'elle idiote ! Je levai les yeux au ciel. Tu PENSES qu'elle t'aime toujours ? Je peux t'assurer que des vertes et des pas mûres, j'en ai vues, mais là, c'est une première. Elle est complètement folle de toi, genre... gravement atteinte. Tu dois pas être mauvais en fait. Je roulai des yeux dans un petit sourire taquin. Pour la première fois depuis le début de semaine je me sentais respirer. Je ne saurais l'expliquer, c'était étrange. Et maintenant que j'avais la certitude qu'il n'y avait rien entre Eliaz et cette fille, la vie reprenait son cours le plus normalement du monde. Peut-être ne voulais-je pas me l'avouer, mais que j'avais besoin d'être rassurée, de m'entendre dire qu'au moins je comptais un peu parmi toutes ces filles. Je ne savais pas de quelle manière je voulais compter pour lui, c'était trop flou. Ainsi lorsqu'il me prit la main en me promettant que j'aurais été la première au courant parce que je comptais énormément pour lui, selon ses mots, je penchais la tête sur le côté, signe que j'avais bien compris. Je ne savais pas si c'était vrai, peut-être qu'il le disait juste pour me calmer et me faire plaisir. Après tout, on accumule pas un tableau de chasse aussi aiguisé que le sien en disant toujours la vérité. Mais ce que je savais de source sûre c'est qu'avec lui, je n'étais pas dupe comme les autres filles. Peut-être que c'était ça la différence qui rendait tout tellement plus compliqué. Je te crois. Et je peux te dire qu'une seule comme elle c'est déjà bien assez ! plaisantai-je. Je ris, certes, mais j'avais toujours une certaine amertume dans le fond de ma voix. Je ne m'expliquai toujours pas ce sentiment étrange que j'avais ressenti. Merde, merde, merde. J'avançais alors d'un pas vers lui, plantant mon regard dans le sien. Je prendrais bien un verre de jus de fraise. T'en as ? Ou comment détourner une conversation pour s'immiscer chez quelqu'un ! Et puis, j'adorais la maison d'Eliaz c'était tellement... grand. A côté de cette villa, ma maison ressemblait à un petit carton de déménagement repeint en blanc et aménagé en quelques pièces distinctes. Au fait, ça me touche ce que t'as dis. Enfin tu sais... que je compte quand même un peu pour toi ! Je haussai les épaules et fronçai du nez dans un petit rictus adorable et craquant.

Je m'étais adoucie, rassurée par les paroles de Eliaz. Mais pourquoi étais-je rassurée ? Eliaz n'était qu'un ami après tout, sa vie amoureuse ne regardait que lui et s'il avait envie de gâcher sa jeunesse en passant la bague au doigt d'une autre c'était son choix. Je songeai à tout cela, les yeux perdus dans le vague alors qu'il me parlait de confiance, des lubies folles de cette fille et s'évertuait à me dire qu'il était un homme bien. Puis comme une illumination soudaine, la réponse à toutes ces questions me frappa : se marier à 19 ans, c'était gâcher sa vie. Mais bien sûr, c'était pour ça que je réagissais comme ça. Mes parents s'étaient pariés et avaient eu des enfants très jeunes, trop jeunes. On arrête ses études, on sacrifie une partie de sa vie et on finit sa vie à jouer de la guitare dans des festivals hippies/rock ou à faire pousser des légumes bio dans le jardin de sa modeste maison. Je ne voulais pas qu'il arrive la même chose à Eliaz même si sa vie à lui était particulièrement bien tracée. J'inspirais un grand coup, heureuse d'avoir su mettre des mots sur ce qui m'était arrivé. Oui voilà, c'était de la prévention et rien d'autre... comme si ça pouvait être autre chose, hein ? Un petit rire nerveux s'échappa de mes lèvres mais Eliaz avait déjà filé. La porte était restée grande ouverte et il s'affairait dans la cuisine à me servir mon jus de fraise. J'étais toujours sur le perron, étonnée, puis décidait de rentrer en fermant la porte derrière moi. Bon, je suppose que c'est une invitation à rentrer ? J'esquissai un petit rire puis me dirigeai jusqu'au salon. Il était grand, spacieux, lumineux et vraiment bien décoré. Clairement, c'était un refuge de mec car le tout n'était pas rangé à la perfection, mais l'extravagance des lieux me fit oublier tout le reste. T'es con, c'est pas une question de confiance ! Si un médecin t'appelle en te disant qu'il a relevé des anomalies dans tes résultats ADN, tu le crois et point barre. Même si c'est pas sûr. J'illustrai mes propos, parlant assez fort pour qu'il puisse m'entendre depuis la cuisine. Je longeai les murs regardant chaque tableau, chaque bibelot et chaque photo qui décorait la pièce. Je me retournai et tombai nez à nez avec le brun qui me tendait un verre. Non pour de vrai t'en as ? Je pensais pas, c'est tellement rare ! Merci. Je m'en saisis, puis un sourire en coin se forma sur mes lèvres lorsqu'il évoqua ma fuite après avoir changé doucement de conversation. Et j'allais lui dire quoi hein ? Rien, je pouvais même pas m'expliquer mon comportement alors à quelqu'un d'autre, c'était encore plus impossible et absurde ! Je ne vois pas de quoi tu parles, déclarai-je en levant les yeux au ciel, faisant mine de scruter attentivement le plafond. Toi aussi t'es entrain de changer de conversation, t'es mal placé pour me faire la morale ! Je lui tirai la langue en plaisantant, espérant embrouiller son esprit pour qu'il ne sache plus quoi dire sur ce sujet. Allait-il seulement être dupe ?