21.03.1998
Je ne vais pas raconter que c'est le plus beau jour de ma vie et que j'attends mes cadeaux avec impatience, parce que mon anniversaire c'est juste pour dire. Je vieillis, c'est tout. Et oui, moi je n'ai pas de cadeaux, pas de fête, pas d'amis non plus. Et encore moins des parents. Dès qu'on sait ça, on comprend pourquoi mon anniversaire ne compte pas, et pourquoi ce jour est pareil à tant d'autres pour moi.
Aujourd'hui, j'ai dix ans, dix ans de rien, dix ans d'attente, dix ans d'ennui. Dix petites années, et c'est même pas cool. Et j'ai l'impression d'être centenaire après tant de vide et de rien. Aujourd'hui, tout comme sur il y a dix ans, je n'ai rien à raconter.
• River avait écrit cela dans un carnet noir sur lequel une serrure était placée, et elle ne l'ouvrait jamais que pou y écrire. Elle ne se relisait jamais, elle n’aimait pas son histoire.
Un jour nul, comme les autres
Là, maintenant, je viens de frapper Marcus. Juste là où ça fait mal. Lorsque la surveillante de l'orphelinat m'a demandé pourquoi, je lui ai dit qu'il avait commencé. Elle ne m'a pas cru, elle a eut raison, pour une fois... Je l'ai frappé parce qu'il m'a dit la vérité en face, la première fois qu'on ne me ment pas et je lui en veux... Il a dit que mes parents ne reviendraient pas et qu'ils ne m'aimaient pas. Il avait raison, je le sais.
Lorsque l'on est abandonné à côté d'une poubelle deux jours après sa naissance, on ne se pose pas trop de questions sur le genre d'amour qu'on va recevoir. L'image était claire. Poubelles = déchets = ce qu'on ne veut plus = MOI. Simple. Simple mais blessant, alors je l'ai frappé, et là je suis privée de repas. Mais bon, si c'était pour bouffer des chicons et de la morue, c'est bon quoi.
On me dit souvent que je suis une fille détestable, peste, chiante, méchante et que je prends plaisir à embêter tout le monde parce que je n'ai pas eut l'amour que je voulais. C'est vrai. Et c'est aussi pour ça qu'on ne m'adopte pas, parce que je suis une petite saleté et que je ne fais absolument rien pour qu'on m'aime, au contraire. Je sais pas ce qu'il leur faut pour qu'ils me foutent la paix, si je suis pas accueillante et amicale, y'a une raison.
Mon indépendance
Je ne sais pas pourquoi je continue à écrire ici, et à redouter de lire ce que j'ai précédemment marqué. Mais aujourd'hui j'ai dix-huit ans et cela fait un moment que, cher petit journal, tu prends la poussière sur ce bureau. Alors, toujours pas d'adoption pour moi en dix-huit ans, mais je n'ai jamais rien fait pour. Mais bon, après tant de temps passé à me balader dans des foyers pourris, je peux fuir. ADIOS AMIGOS comme on dit ici, dans ma chère Espagne. Alors oui, je m'en vais. Et je t’emmène, comme seul souvenir, parce qu'un jour, peut-être, je pourrais trouver le courage de me relire. En fait, tu es un peu mon seul bagage, il faudra penser à faire les magasins...
Etudes, études, études... Alors, je vais me consacrer aux animaux. Non, non, pas tenir une animalerie, tu me vois derrière un comptoir toute la journée? Mis je ferais peut-être un peu d'élevage... Quoi qu'il en soit, vétérinaire c'est mon choix. Depuis un moment déjà j'en rêve, les animaux et tout ça.
Ah oui, ma chère Espagne, eh bien je vais la quitter. Un jour. Bientôt sûrement. Mais pas tout de suite, parce que je sors à peine de cet orphelinat pourri, et que je suis follement amoureuse d'un bel espagnol. Je ne vais pas le quitter comme ça. Et oui, pendant que tu traînais sur les meubles, j'ai rencontrer l'homme de ma vie, merveilleux.Après des années à haïr les garçons, moi qu'on croyait totalement asociale, j'aime, vraiment beaucoup.
Jour le plus affreux de ma vie, perte de tout ce que j'aime, la mort en étant en vie, l'horreur.
Puisque tu as encore raté un épisode, j'explique rapidement avant de m'écrouler et de mouiller toutes ces pages d'un torrent de larmes irrépressible et mortel pour le papier. J'étais fiancée depuis trois mois à l'homme le plus merveilleux du monde mais qui possède une famille de m*rde. On allait se marier, hier, et il est parti. Enfin, la vieille mégère qui lui sert de mère l'a emmené, je ne sais pas où, je ne sais pas vraiment pour quelles raisons, mais elle l'a emmené. Loin de moi parce qu'elle m'a toujours détesté. Si je la retrouve, je l’égorge, je la noie, je la pend, je l'étripe, je l'enterre vivante. Ou tout cela à la fois. Mais cette femme, si on peut appeler cette chose ainsi, ne survivra pas à une nouvelle entrevue avec moi. Ma foutu ex-futur belle-mère, la saleté de mégère moisie, la vieille sorcière! Et puis zut, je te pleure dessus maintenant. J'en ai MARRE. Je quitte cet appartement. En fait, je quitte Barcelone, et l'Espagne et, l'Europe.
La nouvelle vie
Cela fait quelques jours que je ne t'ai plus ouvert... En fait, j'ai décidé de ne plus écrire ici dès que j'aurai terminé cette page. Pourquoi ? Bah parce que j'ai dix-huit ans, que tu es presque complet, que j'ai bien d'autres choses à faire pour le moment et pour les années à suivre... Des raisons comme ça quoi. Mais voilà, je voulais juste écrire qu'avec les quelques notions d'anglais que j'ai, j'ai décidé d'aller à San Diego. Pourquoi pas Londres pour voir mon groupe de musique préféré ou en Irlande ou un pays d'Europe où on parle une langue que je connais ? Parce que justement, c'est en Europe. Moi et ce continent, c'est fini ! Comme prévu, après cet essai de mariage complètement nul et désespérant et tragique et épouvantable, je vais faire cinq ans d'études pour devenir vétérinaire, puis je serais vétérinaire à San Diego. Oui, je sais pas pourquoi mais j'aime cette ville. Donc, si je compte bien, j'aurais près de vingt-quatre ans quand j'ouvrirais mon cabinet de consultation et je me serais surement remise de ce presque mariage. Et de ces années géniales dans divers orphelinat. Et du dégoût que j'ai ressenti en voyant Marcus partir dans une nouvelle famille. Pas parce qu'il était adopté et pas moi, mais parce qu'il va me manquer. Encore aujourd'hui. Sous ma carapace de dureté et de méchanceté, j'ai un petit coeur brisé par trois fois. Parce que, l'air de rien, c'était mon meilleur ami.