+ RUN FOR YOUR LIFE
Comment vouliez-vous que je le devine ? Que je sache que cette famille n'était pas la mienne, et qu'ici, je n'étais qu'un intrus, qu'un tableau de chasse, qu'un pion parmi les autres ? Non, non, je ne le savais pas, bien sûr.
Dr Even McStamp. Un médecin psychiatre réputé par chez moi, là-bas en Irlande.
Un médecin à la tête du plus grand trafic d'enfants qu'il puisse exister.
Avez-vous déjà entendu parler de ces enfants que leurs parents ne retrouvaient pas ? Des ces gosses qui, subitement, se volatilisaient, par dizaines, par-ci par-là ? Avant même de sortir de l'hôpital où ils venaient de naître, pouf, plus de bébé.
J'étais l'un d'eux. Élevé dans des familles choisies spécialement pour "l'opération". Parait qu'on voulait nous inculquer une éducation stricte, un mental d'acier et une réponse à l'ordre immédiate. C'était bien parti pour marcher si tout ça n'avait finalement pas été découvert soudainement et l'opération mise à nue. Le Dr McStamp vu condamné à huit ans de prison ferme, et dès ce jour, je ne le revis jamais.
J'avais dix ans, et enfin, j'allais connaître ma vraie famille.

+ WHERE THE STORY ENDS
En fait, celle-ci ne comptait que ma mère. Mon père, me raconta-t-elle, avait disparu en mer – il était marin – quelques jours avant ma naissance. Ma mère était adorable et dès les premiers moments, on s'entendit bien et je trouvais en elle toute la protection et la douceur qui m'avaient manqué lors de ma petite enfance chez ces brutes. Je savais qu'à présent, je comptais vraiment pour quelqu'un. Je savais vraiment qu'à présent, quelqu'un me protégeais pour de bon. J'étais rassuré. Épanoui. Heureux.
Malheureusement, j'ignorais que le destin n'offrait pas sans reprendre et que ces années de bonheur, j'allais devoir les payer, tôt ou tard. Enfin... beaucoup plus tôt que prévu.

+ LOST AND INSECURE, YOU FOUND ME
J'avais à peine seize ans. La Faucheuse est apparue trop tôt et a emmené ma mère, se déguisant sous le masque d'un cancer des poumons. Faut dire que son plus grand défaut, c'est qu'elle fumait énormément...
Comme pour montrer à la mort que je n'avais pas peur d'elle, loin de m'effrayer, c'est à ce moment-là que je me mis à fumer moi aussi. Prenant la vie à revers, inversant les rôles, je décidai alors de ne plus rien laisser au hasard, de ne plus me laisser faire - pas même par le destin et la fatalité. D'ailleurs, je n'y croyais pas. J'ai toujours cru qu'on pouvait tout choisir, et que rien n'était écrit à l'avance. Peut-être que je me trompais. Au fond... peut-être existe-t-il un livre où nos noms sont déjà là, alignés, en face d'une histoire toute tracée sans que l'on ne puisse plus rien changer. Aucune idée. Au fond, je m'en foutais pas mal. Au lieu de me laisser abattre, j'ai pris la mort de ma mère comme un défi. Effaçant peu à peu l'image du gentil garçon que j'étais et qu'elle avait connu, j'ai décidé de laisser place au niveau Sweeney. Je me suis amusé à surprendre encore et toujours plus les autres, dès qu'il ne s'y attendait pas. À braver les interdits, à me mettre en danger dès que j'en avais l'occasion.
De jeu, c'est devenu une obsession pour moi.
Les autres craignaient pour ma santé – mentale comme physique.
Mais moi, je n'étais pas effrayé.
Oh non, justement ; je n'avais peur de rien.

+ IS THIS ALL WE GET TO BE ABSOLUTE ?
Aurore. C'est comme ça qu'elle s'appelait. Quand ses yeux ont croisé les miens la première fois, j'ai été électrisé. Je crois que c'est cet électrochoc qui m'a procuré ces petits frissons qui me chatouillaient. Ça ne m'était encore jamais arrivé. Âgé de vingt-deux ans déjà, continuant mes études scientifiques en biologie pour entrer dans la police scientifique, j'enchaînais toujours les conneries sans jamais m'arrêter. Mais pour la première fois, quand cette petite française est entrée dans mon groupe, j'ai senti sous son regard comme une pression qui me disait "tu ne mérites pas mon regard".
Alors, du jour au lendemain, j'ai changé. J'ai voulu la séduire – aucune fille ne me résistait, ici. Mais ça ne fonctionnait vraisemblablement pas comme ça. Pas avec Aurore.
Ce n'est pas qu'elle me regardait de haut. C'est que son regard m'effleurait sans qu'il ne s'y arrête sérieusement. Il y avait parfois ce mépris teinté d'une légère pitié compatissante dans ses beaux yeux bleus qui me faisaient perdre pied. Sans le savoir, j'étais devenu fou. Fou d'elle, qui ne me voyait même pas.
J'ai décidé d'abandonner.
Mais vous ai-je déjà parlé du destin ?

+ THE LOVER HELD HER LOVE
« Tu te souviens ? » murmure-t-elle doucement. Je lève mes yeux bleus vers elle pour l'encourager à poursuivre. Si je me souviens de quoi ? Elle a sourit. Elle a rougit. J'ai voulu lui dire qu'elle était magnifique, mais je ne voulais pas la couper. Elle avait pris le ton de celles qui ne veulent pas être interrompues dans leurs souvenirs. Et je voulais qu'elle m'y plonge avec elle. « Au début, je te considérais vraiment comme un type comme les autres. Il t'a fallu un an pour changer réellement, du tout au tout, on ne s'était pas vus depuis plus de six mois, ça serait te mentir que je t'avais oublié avec ton insistance à m'avoir dans ton lit – elle rit et il baisse un peu les yeux – mais bon, je m'étais résolue au fait que ce garçon ténébreux n'était pas fait pour moi. Et que je ne te cèderais pas, aussi séduisant que tu étais. Mais toi... tu m'avais pas oubliée. Tu me connaissais à peine. Et pourtant, le jour de mon anniversaire, quand j'ai ouvert ma fenêtre, une prairie de jonquilles ornaient le sol jusqu'à l'horizon.. J'ignore encore comment tu as fait ce jour-là. » Elle a cet air rêveur qui me fait craquer à coup sûr. « Secret. » que je murmure, comme toujours. Elle a sourit et a planté son regard dans le mien. « Pendant la semaine d'après, je t'ai comme testé, sous tous les angles. Mais tu n'avais plus rien du garçon perdu, courant après le danger, que j'avais rencontrée à la fac. Non, tu avais changé. Et j'ai su dès ce moment que tu étais fait pour moi, parce qu'en fait, dès que j'ai ouvert les yeux sur ce champ de fleurs, je nous ai vus vieillir ensemble. »
Elle en a les larmes aux yeux et je dois avouer que l'émotion me serre un peu la gorge.
Mais je me reprends et sans un murmure, plonge la main sous mon oreiller, décidant d'avancer un peu le grand moment que je prépare avec impatience depuis plus d'une semaine.
Je me mets à genoux devant elle. Elle me dévisage, n'osant pas s'imaginer l'improbable.
« Sween', qu'est-ce que.. »
Mon regard amoureux la fait taire.
« Mlle Aurore Longchamps, voulez-vous m'épouser ? »

+ HOW TO SAVE A LIFE ?
« J'espère que tu te rends compte que la veille de notre mariage, tu m'accuses d'avoir une liaison avec une gamine de dix-sept ans quand même. » Il y a un ton de reproche dans ma voix et je voile un soupir. « Oui, et mes soupçons sont fondés ! Cette gamine me vaut dix fois plus et... » J'immobilise la voiture en plein milieu de la chaussée – heureusement qu'il n'y a personne derrière-nous. « Tu dis n'importe quoi. Aurore, personne ne vaut plus que toi à mes yeux, tu brilles tellement que tu éclipses tous ces gens futiles autour de moi. »
Elle semble convaincue ; je repars donc. Pour nos noces, on a choisi San Diego. Je ne sais pas où elle a été chercher ça, mais c'est complètement faux. Depuis que j'ai changé, je me suis juré d'être fidèle. Et je l'aime trop pour regarder ailleurs.
« Je t'aime, tu sais ? » me dit-elle soudain.
Oh oui que je le sais. Mais je ne me lasse jamais de l'entendre.
Je tourne la tête vers elle, me détournant de la route quelques secondes. Mon coeur bat la chamade, comme si c'était la première fois qu'elle me le disait, comme à chaque fois.
On s'habitue à tout, même au bonheur. Très vite. Mais que puis-je craindre ? Dois-je me dire que je détruit tout ce que je touche, et que c'est ce qui a causé la perte de ma mère qui occasionnera celle d'Aurore ? C'est stupide. Je vous l'ai dis, je ne crois pas à tout cela.
Peut-être que j'aurais dû ? Mais ça n'aurait rien changé.
Ça ne l'aurait pas sauvée.
« Oui, je t'aime. Et on se marie demain. » marmonne-t-elle, rêveuse. Je tourne mon regard vers elle, tenant entre mes mains toujours le volant, une bague de fiançailles autour de mon annulaire. Je l'aime à en crever.
Je vois son visage si harmonieux, si gracieux, si beau. Si amoureux. Et puis son expression se change brutalement pour laisser place à une mine horrifiée. J'entends mon prénom murmuré entre deux hoquets d'affolement, des phares m'éblouissent et alors que je sens les premiers tremblements, le noir se fait.

+ HEAVEN FORBID
Il n'y a pas eu de mariage. La bague est restée à mon bras et je fais face à Aurore, les yeux gonflés comme toujours. Non pas face à ma Aurore, mais face à cette pierre tombale qui porte son nom et ses empreintes et qui pourtant, présente un visage bien froid devant mon deuil difficile. Je murmure un « joyeux anniversaire » à peine audible. Il y a deux ans que je l'ai rencontrée. Et ça fait un an que l'accident a eu lieu.
Quand je me suis réveillé après deux jours de coma, un médecin m'annonça son décès qui datait de la veille. On croyait que je ne survivrais pas moi non plus. Mais si, j'ai survécu ! Et vous savez pourquoi ? Parce qu'il est bien plus douloureux d'être de ceux qui restent que de ceux qui s'en vont. L'accident était de ma faute. C'est moi qui tenait le volant. Moi qui la regardait elle plutôt que la route. C'est moi qui l'ai tuée. Moi qui ai tuée la seule femme qui eut jamais fait battre mon cœur de cette façon-là. Alors pour me punir, on m'a fait survivre. Ça semble presque logique, en fait.
J'aurais pu quitter San Diego, mais comme c'était notre destination, vivre ici me semble comme un vœu promis à Aurore que je ne peux lui honorer que de cette manière.
Devant elle, je ne mentionne pas celui que je suis devenu. L'alcool, la clope, les aventures d'une nuit... cet univers si destructeur, si familier, m'a appelé insensiblement comme le chaos appelle le roi qui chute. Je n'ose pas lui dire que je suis redevenu celui qu'elle détestait tant. Mais je devine bien qu'elle le sait. Qu'elle le sent.
Je me lève. Le danger m'appelle. J'ai besoin de ma dose, c'est comme une drogue. Je pars en courant, comme un voleur de sentiments, comme le pilleur de vie que je suis. J'ai pris celle de ma mère, j'ai pris celle d'Aurore. Et la suivante, alors ?
Aimer fait-il de moi un criminel ? On dirait bien. Alors je me suis fait une promesse : ne jamais plus aimer. Ne jamais mettre quelqu'un en danger en me liant à elle par les sentiments, car l'épée de Damoclès me suit toujours, je le sais.
Je vous ai déjà parlé du destin ? De la fatalité ?
Oui, je suis têtu. Mais non, je n'y crois toujours pas.
Pour moi, on a toujours le choix.