Les balles ennemies s’abattent sur nous comme une pluie qui se déchaine lors d’une tempête. Nous ripostons comme nous le pouvons, mais nous sommes moins nombreux que nos ennemis. Cela ne devait être qu’une mission de repérage, mais nous sommes tombés dans un piège comme des imbéciles. Nous essayons d’être vigilant, mais autant dire que ce n’est pas simple. Je remarque que mes munitions s’épuisent bien trop rapidement, comme celles de mes camarades. « Repliez-vous ! Repliez-vous ! » Les ordres de notre Colonel tombent. Nous marchons à reculons en tirant toujours. Ceux qui sont plus éloignés couvrent ceux qui essaient de se replier. Moi, je suis à l’écart, mais je regarde toujours en direction de mon jeune frère, Thomas. Je sais qu’il est un bon soldat, mais comme nous tous, il n’est pas invincible. Tous les camarades reculent, mes yeux restent sur mon frère qui commence à s’éloigner également, mais je le vois qui vacille un instant. Cette petite perte de contrôle lui coûte énormément puisqu’il reçoit une première balle dans l’abdomen. Je regarde la scène ahuri et tente de me relever, mais un camarade me retient aussi fort qu’il le peut. Une nouvelle balle, puis une autre viennent se loger dans le corps de mon frère. Un cri de rage s’échappe et je me dégage de l’emprise du soldat et court jusqu’à Thomas qui git par terre. Du sang coule avec abondance, alors que je m’agenouille à côté de lui. J’essaie de faire appui sur les plaies, mais mes tentatives sont inutiles, il y en a bien trop. Mon frère ouvre les yeux, il est faible, je le sais, je le sens. Aucun homme ne pourrait survivre à cela. « Nolàn... » Sa voix est à peine audible, je me penche vers lui, mais lui ordonne de ne rien dire. Il faut qu’il garde toutes ses forces pour s’en sortir. Mais, il secoue faiblement la tête négativement. Il sait qu’il va partir, et c’est bien le pire dans toute cette histoire. « Il faut... que tu... » Il tousse, sa voix est coupée, du sang s’échappe de sa bouche. « Ne dis plus rien, je t’en prie, Thomas. Il ne faut pas que tu parles, d’accord ? Tu vas t’en sortir. » Il me regarde et je vois une larme qui roule le long de sa joue. Je retiens difficilement les miennes, mais ma gorge est nouée. Je suis partagé entre plusieurs sentiments qui me rongent. Plus rien n’existe autour de nous, je n’entends plus rien, juste mon frère. « Enfuis-toi... vite... je suis... bien... » Il esquisse un bref sourire et s’éteint dans mes bras. Je hurle ma rage et mon désespoir alors que des larmes roulent sur mes joues. Je viens de perdre mon jeune frère, alors que je devais le protéger de tout cela. Je ne peux pas le laisser ici, je me refuse à laisser son corps dans cet endroit ! Je me relève et le porte dans mes bras, mais, j’en oublie les tirs ennemis qui continuent. C’est à peine si je sens les balles qui se logent dans deux parties de mon corps. Je m’écroule directement et perds connaissance.

Je me réveille doucement en entendant un peu d’agitation au loin. Je me demande où je suis et m’étonne de ne plus entendre les coups de feu. Suis-je mort ? Suis-je au paradis ou en enfer ? Ces questions fusent dans mon esprit, mais lorsque j’ouvre les yeux, je réalise que mes hypothèses sont fausses. Je suis allongé dans un lit, dans un hôpital militaire. Merde, je ne me souviens de rien. Juste... Le décès de Thomas et ensuite, c’est le trou noir. Je ne sais pas comment je suis arrivé ici, ni même si mes camarades ont réussis à fuir l’embuscade dans laquelle nous étions pris. Un infirmier arrive et m’offre un bref sourire. Évidemment, un soldat qui ouvre les yeux, cela relève du miracle ici. La plupart termine par mourir dans d’atroces souffrances... ou non. Mais quoiqu’il en soit, je ne saurais dire si je suis heureux d’être ce miracle ou non. Il m’informe de mes blessures. Je me suis pris une balle dans la cuisse et une dans l’épaule droite. « Une chance », qu’il me dit. Bien sûr ! Une chance d’avoir vu mon jeune frère mourir à cause de toutes ces ordures. Il me soigne et s’éclipse ensuite. Je n’ai même pas le temps de souffler qu’un proche camarade arrive et s’assoit sur une chaise. Jared est un ami proche depuis que nous sommes chez les marines. « Comment tu t’sens ? Tu sais que tu nous as fichu la trouille ? Le Colonel en pouvait plus de hurler ton nom. » me glisse-t-il directement. Je sais que ce sont des boutades, mais je ne parviens pas à sourire. Je le regarde simplement, comme si il n’était pas réel. Comme si il était loin, ou bien, est-ce moi qui le suis, je n’en sais rien du tout dans le fond. « Thomas...? » demandais-je en le regardant dans les yeux. Une partie de moi voulait entendre que ce n’était qu’un cauchemar, et qu’il était toujours vivant. Mais je connaissais la réalité des faits. Il baisse la tête et passe une main dans sa nuque... J’ai compris. « Je suis désolé, Nolàn... J’ai quelque chose pour toi. » Il me regarde et sort quelque chose de sa poche. Il attrape ma main et y dépose les plaques militaires de mon jeune frère. Je les regarde de longues secondes, son identité notée dessus ainsi que son matricule. « C’était un bon soldat. Tu peux être fier de lui. » m’affirme-t-il en serrant mon poignet. Il le connaissait aussi, depuis ces années. « C’était un bon frère, Jay... c’était un bon frère. » dis-je en ayant la gorge nouée. Comment faire avec ce sentiment de culpabilité qui me ronge dès à présent ?

Après plusieurs semaines à l’hôpital, je suis enfin autorisé à en sortir, mais je n’ai pas le droit de repartir au combat. Et puis, en période de deuil, il me serait difficile de le faire. De toute façon, mon unité doit rentrer au pays pour quelques mois. D’autres troupes vont rejoindre l’Irak. Notre retour en avion se fait dans le calme, nous rapatrions également les corps de nos camarades. Mon meilleur ami est toujours à mes côtés, il me soutient et m’aide énormément. Il est assez difficile de marcher avec des béquilles en ayant une épaule blessée. Enfin, je fais avec et je prends sur moi. Je me dis toujours qu’il y a pire, et d’un côté, cela me réconforte, mais de l’autre, je m’en moque. Je peux être contradictoire parfois. « Dis Nolàn, je me suis toujours demandé quelque chose. Pourquoi tes parents ont eu la folle idée de te donner en prénom, Hurricane ? » Il arque un sourcil en cherchant une réponse. Et cette fois-ci, je souris doucement. Cette histoire est toute conne, et d’ailleurs, moi aussi je me demande parfois si cela était vraiment nécessaire. Mais, pourquoi pas ? Au moins, cela me rend original, même si je n’utilise guère ce prénom. Ou bien, qu’en de très rares occasions. « Parce que je suis né le lendemain du départ de l’ouragan Diana, en dix-neuf cent quatre-vingt quatre. Imagine-toi, j’aurai été une fille, peut-être auraient-ils au l’idée de m’appeler Diana... J’ai eu chaud. » expliquais-je avec une petite pointe d’humour. Il avait l’air sceptique au départ, mais cette histoire est vraie ! Finalement, il en rit et hoche la tête avec humour. Parfois, certains ont idées que l’on ne saurait expliquer clairement. Et puis, il faut dire que mes pauvres parents ont eu trois garçons, il fallait bien faire preuve de bon sens. Et en pensant à eux, je me dis que dans quelques heures, je serai devant ces personnes qui ont perdus un fils... Je me sens épuisé par avance.

La voiture s’arrête devant chez mes parents. Tant bien que mal, j’en sors et me dirige vers la maison en m’aidant d’une béquille, sac sur l’épaule. Une fois devant celle-ci, je soupir un grand coup et la porte s’ouvre de suite après. Mon frère aîné, James. Il me serre dans ses bras et me prend mon sac afin de soulager mon épaule entièrement valide. J’entre et découvre mes parents assis dans le salon, têtes baissées. Ils sont en larmes, ce que je peux comprendre, ils ont perdus un fils, mais... cela me peine de savoir que même le fait que je sois vivant ne les consolent pas, même pas un petit peu. Pire encore, lorsque mon père relève la tête et que je croise son regard, je ressens une pointe de colère à mon égard. Cela me déboussole quelque peu, mais je n’en fais pas une histoire. Je les salue vaguement avant de rejoindre une chambre qui se trouve à l’étage. Mon frère me rejoint et nous discutons. Il m’explique la situation : mes parents sont détruits et effectivement, ils ont une dent contre moi. Mais, hors de question de faire des remarques avant l’enterrement de Thomas qui aura lieu sous peu. Je préfère être silencieux et reste dans cette chambre comme un inconnu, un indésirable. Trois jours plus tard, nous rentrons de l’enterrement dans le plus grand silence. Seuls les sanglots de ma mère brisent le silence pesant. Une main dans la poche de mon pantalon, je serre entre mes doigts les plaques de mon frère que je garde précieusement. Une fois que nous sommes tous réunis au salon, les regards redeviennent lourds et je me sens comme un monstre. James essaie de faire en sorte que les choses aillent mieux, mais rien ne change. Et un soir, alors que je passe devant le bureau de mon père, je surprend cette conversation qui va tout changer. « C’est à cause de lui, si Thomas a voulu faire son entré chez les marines ! » déclare mon père avec une colère sourde dans la voix. Je deviens immobile, incapable de faire le moindre mouvement, ma respiration se coupe presque. « Je le sais, mais que pouvons-nous faire ? Il est notre fils ! » enchérit ma mère en prenant un ton conciliant qui me dégoûte à cet instant précis. Comment peuvent-ils prétendre choses pareilles ? Chaque homme est libre de ses choix ! En aucun cas je n’ai influencer ceux de mon jeune frère, au contraire ! Je lui ai dis que ce choix était risqué. Je reprends mes esprits et recule doucement, mais, je percute un petit meuble sur lequel est posé un vase qui tombe et se brise en plusieurs morceaux. Mes parents sortent du bureau et mon père me lance ce regard assassin. « Tu ne peux pas faire attention, un peu ?! Ce vase venait de ta grand-mère, tu ne penses donc jamais aux autres ?! » me hurle-t-il en perdant tout contrôle. La bonne figure de ces derniers jours disparaît. Voilà enfin le vrai visage de mon père. Un visage haineux et qui me rappelle les raisons pour lesquelles je me suis engagé si tôt chez les marines. « Tu es là depuis des jours, tu es devant nous et tu n’exprime aucun regret, rien ! Tu as tué ton propre frère et tu oses être sous notre toit ! » Je deviens pâle en entendant ces propos. Comment ose-t-il me dire une chose pareille ? Comment PEUT-IL le faire ? Me mettre la mort de Thomas sur le dos est inadmissible ! Ne croit-il pas que je ne me sens pas assez coupable comme cela ? Non, il en rajoute une couche ! Et le silence de ma mort est tellement éloquent qu’il est bien inutile qu’elle parle. Mon père hurle encore des choses terribles, mais je fais abstraction de cela. J’entre dans ma chambre, et fais rapidement mon sac. Je ne peux être ici une minute de plus. Je jette quelques vêtements, attrape mes papiers et quitte cette pièce avant de descendre les escaliers sans dire un mot. Je sais que James comprendra. Et finalement, je quitte le domicile de mes parents pour rejoindre ma vraie famille : les marines.

À présent âgé de bientôt vingt-huit ans, je suis toujours chez les marines. D’ailleurs, j’ai gravi quelques échelons puisque je suis devenu 1er Lieutenant. Depuis l’enterrement de mon frère, je n’ai plus jamais revu mes parents et je m’en porte pas plus mal, bien qu’une douloureuse blessure ne se refermera jamais à cause de cela. Je conserve toujours ses plaques militaires avec moi, elles sont mon porte-bonheur. Lorsque je vais au combat, elles sont toujours contre moi. La plupart du temps, je réside à San Diego où se trouve ma base et j’envoie parfois quelques nouvelles à James, qui est marié et père de deux enfants. Son bonheur me fait plaisir et je suis heureux de savoir que lui, ne m’a pas tourné le dos. Je ne peux pas dire que je suis l’homme le plus comblé du monde. Il y a des vides en moi, des sentiments contradictoires, et des boules de feu qui refusent de sortir. Cela fait bien longtemps que l’insouciance du monde m’a quittée pour rejoindre le plus terrible des enfers. Je me bats quotidiennement pour être un homme bon et loyal, et les marines m’aident énormément pour cela. Les gens disent que le temps efface toutes les blessures. À ces gens-là, j’ai envie de leur dire que tout ceci n’est que mensonge et illusion. Le temps ne guéri rien, il amplifie la douleur et la rend cruelle, destructrice et insupportable. Qu’est-ce que la vraie vie ? Je me le demande tous les jours. Mais, je suppose que des nouveaux chapitres vont s’écrire et j’espère qu’ils seront plus joyeux que les précédents.