Prologue

Anastasia. Ça a toujours été mon personnage de dessin animé préféré. J’adorais aussi les autres princesses bien sûr, celles sorties tout droit de Disney comme Belle ou Pocahantas. Mais Anastasia a toujours été ma favorite. Son histoire me fascinait, et savoir que cette rumeur existait vraiment me donnait encore plus envie de voir dans les journaux « La Duchesse Anastasia de Russie, disparue depuis la Révolution Russe, a été retrouvée à tel endroit. » Dimitri était mon amoureux, je voulais le trouver et me marier avec lui, comme la plupart des petites filles – même si elles étaient surtout amoureuses de Peter Pan ou des princes de leurs princesses préférées.

Je la trouvais parfaite, tout simplement. Marrante avec son caractère, sublime aussi bien dans ses robes de princesse que dans ses habits au début du dessin animé quand elle quittait son orphelinat. Parfaite lors de son combat final contre Raspoutine. Émouvante lorsqu’elle retrouvait sa grand-mère à Paris, tout ça grâce à Dimitri. Bref, je voulais presque copier ma vie sur la sienne. Je savais bien que je ne pouvais pas être totalement comme elle, mais je gardais quand même l’espoir qu’un jour un Dimitri allait venir me chercher et me dire que j’étais une princesse disparue. J’étais bien naïve.

Parfaite. Tout ce que je voulais, c’était être parfaite. Que mes parents soient fiers de moi pour ma perfection. Être une bonne élève, être une jolie petite fille, gentille et douce mais drôle et aimée par les autres. Sans doute avais-je besoin d’affection en étant ainsi, je ne sais pas. Mais c’est vraiment vers l’âge de dix-huit ans que tout a dérapé.



Chapitre premier

« Alessandra, tu viens manger avec nous ce soir ? » « Non désolée, je dois bosser. » Voilà ce que je disais constamment, pour éviter de manger. Oui, j’évitais de manger, ça peut être difficile à croire quand on me connaissait avant l’université, mais c’était le cas. A la maison, jamais je n’aurais pu faire ça, avec ma mère et ses plats italiens absolument succulents, dont personne ne pouvait renier la délicieuse odeur et texture. Mais quand j’ai eu mon propre appartement, où je pouvais manger ce que je voulais quand je voulais, ça a commencé à déraper. Petit à petit, j’ai perdu l’appétit, ne mangeant qu’un yaourt tous les deux jours pour éviter de tomber dans les pommes en cours. J’étais atteinte d’anorexie mentale, mais ça bien sûr, on ne le sait pas quand on a ça. Mon anorexie consistait à manger le moins possible. Quand je rentrais chez moi, je mangeais presque normalement, même si les portions ont commencés à doucement diminuer au rythme de l’agrandissement de mon malaise. Mon frère a été le premier à se rendre compte que quelque chose n’allait plus. Il a tenté en vain de me prendre la main dans le sac lorsqu’il passait quelques jours chez moi, mais je mangeais normalement lorsqu’il était là, pour mieux vomir ou ingérer des laxatifs à l’université. Mes amies se sont rendu compte de quelque chose également lorsqu’elles me voyaient devenir de plus en plus pâle, sans énergie, et maigre. C’était ce que je recherchais, la maigreur, pour être parfaite sur tous les points. Personne ne venait me voir, sans doute parce que je n’étais pas faite de manière attirante, désirable. Quand je regarde aujourd’hui, j’me dis que j’étais une parfaite idiote, incapable d’assumer le corps que j’avais à l’époque. Je faisais également le plus de sport possible, pour éliminer le yaourt que j’avais mangé quelque minutes plus tôt, certaine que ça allait être stocké et donc que j’allais prendre du poids. J’étais obsédée par ça. Et un jour, je suis tombée dans les pommes, dans la rue, et j’ai failli me faire écraser si mon frère n’avait pas été dans les parages. Il m’a forcé à voir quelqu’un – un psychologue quoi. J’avais dix-neuf ans que j’ai commencé ma thérapie. C’était un malaise qui remontait à mon enfance, et dans ma quête de perfection, de sentiment d’amour qu’on pourrait m’envoyer si j’étais parfaite, j’avais mis ma santé en danger.


Chapitre deux

« Alessandra ! » La jeune femme ouvrait péniblement les yeux alors que son frère était déjà en train de dévaliser l’intégralité de ses placards. « Thomas ? Mais qu’est-ce que… » « Aller dépêche-toi, on va rater l’avion ! » « L’avion ? Quel avion ? » Elle fronça les sourcils, cherchant dans sa mémoire le souvenir d’une bride de conversation où son frère lui aurait parlé d’un quelconque voyage, mais rien à faire, elle ne s’en souvenait pas. Alessandra se releva doucement sur son lit, observant le jeune homme courir un peu partout dans son appartement parisien, alors que la lune était l’une des seules sources de lumière qui se diffusait encore entre les volets. La brunette regarda alors son radio réveil. Il indiquait trois heures quarante-cinq. « Mais… Qu’est-ce que tu fous là ? » finit-elle par demander, se souvenant enfin que techniquement son frère ne pouvait pas entrer chez elle puisqu’il n’avait pas les doubles des clefs. Cette question le fit rire alors qu’il pliait une paire de sous-vêtements. « C’est fou comme tu es réactive à cette heure-ci ! » Il se stoppa et examina de plus près un soutien-gorge qu’il tenait comme s’il était infesté par la peste. « Mais c’est quoi cette horreur ? Ça appartenait à maman avant ? » « Mais qu’est-ce que ça peut te faire ? Et qu’est-ce que tu fiches ici ?! » Doucement, elle commençait réellement à se réveiller, et petit à petit son esprit éloignait ce brouillard qui l’empêchait de réfléchir auparavant. « Je t’emmène avec moi à San Diego. » « Pardon ? » Elle repoussa ses draps, habillée d’un pyjama d’été malgré la fraicheur de ce début septembre. Sa maigreur frappa l’attention de son frère qui se stoppa une nouvelle fois dans ce qu’il faisait. Elle savait que ça lui faisait mal de la voir dans cet état, il culpabilisait même si elle n’était que la seule responsable. « Je t’emmène avec moi à San Diego. » répéta-t-il avec tout le sérieux du monde, en regardant sa sœur dans les yeux. « Pourquoi ? » « Ton psy t’as bien dit qu’il fallait que tu changes d’air ? Eh bien tu vas prendre l’air californien avec moi. » Son attachement pour elle lui faisait vraiment chaud au cœur. Elle lui lança un petit sourire pour lui montrer toute sa gratitude, il le comprit, et sans rien ajouté, continua de vider les placards de sa sœur, non sans lâcher quelques répliques lorsqu’il tombait sur des reliques qu’il trouvait atrocement hideuses.

Mon psy était dans le coup, et pensait également qu’être pris ainsi par surprise pouvait être une bonne chose pour que j’accepte de le suivre. De toute façon, comme ils me l’ont dit, je n’avais pas le choix. Si je voulais m’en sortir, il fallait vraiment que je parte, que je quitte la France pour aller aux Etats-Unis, changer d’atmosphère de vie puisque beaucoup de quartiers de Paris me faisaient penser à mon anorexie passée et m’étouffaient à la limite du supportable. C’est arrivé l’année dernière. Pendant un an, j’ai suivi des études en lettres, mais les problèmes financiers que ça engendrait m’ont fait sortir des études pour rentrer dans le monde du travail, afin d’aider mon frère à payer le loyer, même s’il voulait m’en empêcher, je ne lui ai pas laissé le choix de toute manière. Maintenant, je suis à la recherche d’emploi depuis deux mois, et je lutte toujours contre l’anorexie qui essaye tant bien que mal de reprendre le contrôle sur ma vie. Mon frère m’emmène régulièrement manger dans des restaurants pour me réapprendre à apprécier les bonnes choses, que ce soit sucrés, salés, équilibrés ou non. C’est vraiment une bouteille d’oxygène pour moi, et mes parents prennent également régulièrement de mes nouvelles pour me faire sentir que je ne suis pas seule, mais surtout que je suis aimée. On va dire que je commence à m’en sortir, après quatre ans de thérapie. Mais ce n’est pas encore tout à fait ça, j’ai encore cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête, je la sens, je le sais…