❝ Chez moi, le secret est enfermé dans une maison aux solides cadenas dont la clé est perdue et la porte scellée. ❞
La famille... quoi de plus important me diriez-vous. Contrairement à d'autres, la mienne c'était complètement brisée. Pourtant, nous étions partis pour vivre pleinement heureux et unis les uns des autres. Pour comprendre mon histoire, il faut tout d'abord que je remonte en mille neuf cent quatre-vingt neuf, plus précisément le douze mars. Mon père, un célèbre homme d'affaire était la personne que j'admirais le plus au monde. Non, ce n'était pas de l'admiration, mais plutôt un vrai culte. Il avait tout pour plaire, une maison gigantesque, une richesse incroyable, une femme aimante et une magnifique petite fille du nom de Billie, et oui, c'est moi ! En parlant de ma mère, on pourrait croire qu'elle se serait mariée avec lui seulement pour l'argent, mais non. Au contraire. Etant la fille d'un chanteur mondialement connu, celle-ci avait hérité de tout son argent. Ce qui pouvait lui permettre d’être femme au foyer. Comme vous pouvez vous en douter, mon milieu était loin d’être défavorisé. Je ne manquais d'absolument rien, à vrai dire, j'étais limite gâtée. D'ailleurs, mon caractère correspondait tout à fait à mon milieu. Hypocrite et narcissique, tel était le caractère des femmes riches. Je passais mes journées le nez dans mes bouquins, surtout ceux parlant de l'histoire de l'homme. Il m'arrivait de lire un roman de plus de cinq cents pages en seulement deux jours ou encore des encyclopédies. Je sais, je suis vraiment un rat de bibliothèque, tellement que mon père m'avait consacré toute une pièce avec des livres partout sur toutes les étagères, comme dans la Belle et la Bête. Les journées se ressemblaient toutes. Pas le droit de jouer dehors ni de regarder la télévision. Heureusement pour eux, je n'étais pas du genre à me plaindre, même quand mon père me faisait des remarques assez désobligeantes. Parce que oui, il prenait la fâcheuse coutume de toujours me rabaisser à chaque fois qu'il en avait l'occasion. Mais bon, à la fin, on s'y faisait, et puis, j'en avais l'habitude. Dans les moments comme cela, je pouvais compter sur ma mère pour me réconforter. Elle me disait tout le temps que mon père m’aimait, et qu'il disait cela seulement pour m'aider à devenir plus forte, et le pire, c'est que je la croyais. Oh, et je ne vous ai pas dit ? J'ai un petit frère, mais bon, ça, on s'en fout. ...


Depuis toute petite, mon entourage m'a toujours trouvé bizarre. Non pas à cause de mon physique ou autre, mais de ma personnalité, plus particulièrement de mes tocs. Pas de chance, il a fallu que j'ai une partie des gènes de ma grand-mère pour devenir maniaque. D'ailleurs, je ne peux absolument pas toucher une poignée de porte ou une bar en fer dans le bus sans l'avoir nettoyé. Enfin, j'utilise mon pull comme bouclier. Le maquillage de mon oeil droit doit être symétrique à celui de mon oeil gauche. Tous mes objets doivent être parfaitement alignés et je suis une dingue de la propreté. D'ailleurs, c'est pour ça que je préfère étudier l'histoire dans les bouquins, bien au propre, plutôt que de faire des fouilles archéologiques.


« Papa papa, regardes ! » toute joyeuse, je lui plantais ma feuille d'évaluation en plein visage. Le sourire aux lèvres, j’appréhendais sa réaction, m'imaginant qu'il saute au plafond, fou de joie. « Dix neuf sur vingt ? C'est tout ? Billie, tu me déçois, moi qui croyais que tu étais intelligente, et bien, apparemment, je me suis trompé » Ces mots m'avaient en quelque sorte, poignardé. Pourquoi l'avais-je déçu ? C'était presque la note maximale pourtant. Les larmes aux yeux, je ne cessais de lui dire une nouvelle fois que j'étais la première de la classe, que j'avais tout le temps les meilleures notes et que je ne comprenais pas sa réaction. Ahuri par ma persistance, celui-ci me regarda d'un air des plus sévère et me rabâcha : « Et alors ? Je m'en fou littéralement que tu sois la première de la classe. Moi, à ton âge, j'étais déjà au collège. Oh, me regarde pas comme ça, tu es vraiment hideuse quand tu pleures. Une vraie sorcière. » Répliquant une nouvelle fois, celui-ci ne m'avais guère laissé terminer ma phrase qu'il s'écria : « J'en ai marre de tes pleurs. Tu es une fille incorrigible. Tu sais quoi ? Je vais t'envoyer en internat, apprendre le respect te fera beaucoup de bien. » Sans argument, je courus dans ma chambre, suffoquant de toutes mes forces. Jamais je n'avais compris cette haine qu'avait mon père envers moi. Pourtant, je ne faisais que ça, des efforts, pour être digne de lui. Malheureusement, il ne voyait en moi qu'une petite imbécile, moche et agaçante. Claquant la porte de ma chambre, je pouvais entendre d'ici les cris stridents de mon père. Ma colère était tellement grande, que je jetais au sol tout ce qui me passais sous la main, cassant des miroirs, vidant mon armoire, … Sur mon lit, la tête dans les mains, je hurlais à m'en arracher les poumons. Personne ne me comprenait ou ne voulait m'écouter. J'étais enfermée dans ma petite bulle, seule.


Deux ans s'étaient écoulés depuis la fuite de mon père. Pour être honnête, je pense qu'il n'attendait qu'une stupide excuse pour mettre les voiles. Je ressentais ce sentiments de fugue qui s'évadait en lui. Tout le monde le voyait sauf ma mère. En même temps, j'étais toujours derrière lui, le regardant travailler, espionnant ses conversations et fouillant dans ses dossiers. Une vraie petite fouine. Jamais je n’oublierai le regard méprisant qu'il m'avait lancé avant de mettre les voiles. Notre petite famille parfaite s'était détruite du jour au lendemain. La raison ? Mes colères beaucoup trop fréquentes. Ma mère elle, ne m'avait jamais pardonné son départ, elle m'en voulait, jusqu'à en devenir presque pathétique. Vivre sans un père, surtout si votre dernier souvenir fut qu'il était dégoûté par votre personne, était vraiment dur. Maintenant, je comprenais tous ceux qui n'avaient eu qu'un seul parent. Le pire dans tout ça, c'était ce qu'était devenu ma mère après son départ. Elle était si brisée de l'intérieur, qu'il m'arrivais souvent de m'inquiéter sur son état psychologique. Et puis, elle ne faisait qu’enchaîner les conquêtes, avec des hommes des plus stupides des uns des autres. Je peux vous garantir que de la voir aussi détruite me brisais le cœur. Je m'en suis constamment voulu, de l'avoir rendu comme tel. Je comprenais parfaitement son mépris, sa colère envers moi, et ne lui en voulais absolument pas. Bon, je reconnais que les soirs, j'en pleurais. Mais bon, c'est la vie, et je ne m'en plains pas.


❝ Chaque personne qu'on s'autorise à aimer, est quelqu'un qu'on prend le risque de perdre." ❞

Cela faisait déjà trois ans que mon père n'était plus là. Moi qui croyais que le ''reste'' de ma famille allait s'en sortir, et bien, ce ne fut pas le cas. Ma mère était toujours aussi pathétique et mon frère commençait peu à peu à sombrer dans les ténèbres. Je pensais vraiment que cet enfer allait se terminer maintenant. Malheureusement, notre histoire allait finir en désastre.


Le dix-sept juillet fut un jour tragique. A ce moment précis, je n'étais encore qu'une gamine dans ma tête. Après toutes ces années de silence, mes grands-parents s'inquiétaient vraiment sur notre état et avaient proposer de passer les vacances avec eux. Bizarrement, en me levant j'avais cette impression qui faisait que tout n'allait pas aussi bien se passer. La tête dans les nuages, je pouvais remarquer par la fenêtre de ma chambre que le ciel était gris. Pourtant, la météo n'avait pas annoncé de pluie. Enfilant mon pull à l'envers, sur le chemin de la salle de bain, je m'étais prise une porte, qui m'avait en tout cas bien réveillé. Le petit-déjeuner s'était passé dans le calme, chacun savourant une à une les grains de céréale. Notre voiture était très étroite, donc nous voyagions léger. Pour ma part, je n'avais qu'une petite valise avec cinq ou six T-shirts et jeans. Pour les chaussures, c'était des baskets fines que j'avais emporté. Simple, confortable et élégant, comme disait ma mère.
Voulant rendre l'atmosphère plus vivante et amusante, j'avais eu l'idée de chanter des chansons campagnardes à tue-tête, rapidement suivie par mon frère puis ma mère. Qu'est-ce que l'on avait ri ce jour là. Le trajet de notre petite maison à celle de mes grands-parents prenait toute une journée. L'heure de la radio indiquait vingt et une heure trente. Le ciel était sombre et la pluie tombait à flot. Les orages hurlaient, déchirant le ciel de ces couleurs rouges et oranges. De nous trois, seul mon frère dormait. Nous étions cette fois, sur une petite colline. Je détestais ces collines, j'avais toujours une peur bleu de tomber dans le ravin. Des panneaux défilaient devant mes yeux. Il y avait surtout des signalisations de danger, comme celui avec les rochers, les collisions ou encore les cerfs. Pour tuer le temps je m'amusais à les compter et à tous les retenir. Passionnant. Regardant cette fois les étoiles – parce que oui, regarder les panneaux était loin d'être si amusant que je l'espérais – j'essayais de me creuser la cervelle pour reconnaître toutes les constellations présentes. Passant par une forêt, je contemplais les arbres croyant encore à l’existence des elfes et des lutins. Il était plus de vingt deux heures. Ma mère commençait à fermer ses paupières mais se ressaisissait aussitôt. La route était illuminée par les phares de la voiture et la lumière de la lune. Tout semblait si calme et serein. Encore une centaine de kilomètres et nous étions enfin arrivés. Nous aurions pu y être sain et sauf si, par le plus grand des hasards, une sorte d'ombre ne s'était pas arrêtée devant la voiture. Même moi je n'avais pu distinguer quelle était cette fameuse ombre, jusqu'à ce que ma mère dévia la bête. Un cerf s'était arrêté voulant sûrement nous faire une petite surprise. A ce moment précis, ma mère ne l'avait pas encore aperçu, il avait fallu que je lui hurle dans les oreilles pour qu'elle se rende compte dans quoi elle fonçait. La voiture sortie de la route, tombant dans un ravin. Tout ce passa au ralenti. Je pouvais encore voir les images défiler devant mes yeux. Le réveil de mon frère, les cris de ma mère, la sensation de chute, la peur dans mes yeux, la voiture s'écrasant contre un rocher. Puis, plus rien. Le néant.


Mes yeux étaient fermés. Mon esprit vagabondait par-ci par-là, ne savant pas où aller. J'eus beaucoup de mal à les ouvrir, comme si quelqu'un m'en empêchait. Clignotant des yeux, je voyais flou, mais réussissais à distinguer une silhouette fine. Au début, je crus que cette jeune femme était ma mère, avec sa tenue d'infirmière, on pouvait facilement prêter à la confusion. Je voulais me relever, lui parler, pour lui demander ce qu'il se passait, où je me trouvais. Mais rien ne sortait de ma bouche, et mes forces m'avaient quitté. Quelques minutes plus tard, je me rendis compte que j'avais ce truc autour de la bouche, comme dans les films, qui vous aide à respirer. « Comment te sens-tu ? » m'avait demandé la même infirmière que tout à l'heure, l'air soucieuse. Je clignais des yeux, troublée par la lumière éclatante du jour. Les seules mots qui étaient sortis de ma bouche était « Où est ma mère, et mon frère ? »Je me rendis compte que ma question avait déstabilisé l'infirmière. Aussitôt prise de panique, j'essayais tant bien que mal de me lever. Celle-ci m'obligea à me rallonger. Encore dans les vapes, je fermais les yeux, alors que je n'en avais pas envie. D'après les docteurs, je m'étais endormie pendant quarante-huit heures. A mon chevet, mon frère me contemplait. Il avait un visage à faire peur. « Pourquoi tu me regardes comme ça ? Tu as vu un fantôme ou quoi ? Et puis, on est où, à l'hôpital ? » Tant de questions trottaient dans ma tête. Son visage était si sombre, que cette fois-ci, je commençais vraiment à m’inquiéter. « Où est maman ? » Le simple mot ''maman'' avait suffit pour rendre mon frère en larmes, paniquée, je regardais mon médecin pour savoir ce qui le mettait dans ces états là. Et cette fois ce fut la révélation. Quand je le vis, le regard plein de compassion, je compris aussitôt ce qui c'était produit. « Docteur... Non ! C'est pas possible ! Pas elle ! » Les larmes tombèrent également de mon côté. Je ne comprenais pas pourquoi c'était elle qui était partie. Voyant mon frère à bout, je me ressaisissais et le regardais droit dans les yeux. Pour le rassurer je lui pris les mains, lui chuchotant quelques mots rassurant. « T'inquiètes pas frérot, on va réussir à surmonter ça. Maman ne voudrait pas nous voir triste. On va essayer de rester soudé, on réussira à y survivre, je te le promets. » Je pensais sincèrement en mes paroles. Je croyais que cette tragédie allait nous rapprocher, mais ce ne fut pas le cas.


Une semaine était passée. Nous avions prévu de faire son enterrement. Toute la famille était présente, les tantes, les oncles, les grands-parents, mais aussi les amis. Le prête lisait son discours pendant que le cercueil descendait sous terre. Une à une, nous avancions pour jeter une poignée de terre sur ce tombeau. Celui-ci était d'un noir brillant et d'une longueur immense. Je n'arrivais pas à croire que dedans, ce trouvait le cadavre de ma mère. J'étais trop jeune pour la perdre. Approchant près de sa tombe, je repris mon souffle et monta sur le podium pour mon discours. C'était horrible de faire un monologue en essayant de paraître stoïque, mais je n'avais pas le droit de craquer, pour mon frère. Il fallait que je soit forte. Prenant mon courage à deux mains, j'ouvris enfin la bouche. « Le plus difficile quand on doit dire adieu, c'est qu'il faut le répéter tous les jours. Encore et encore. Chaque jour il faut affronter la même réalité. La vie est éphémère. Notre passage sur terre est bref. Pour rendre hommage à nos morts, nous devons profiter au maximum de notre courte vie. Nous montrer digne et fort dans l'adversité et affronter tous ensemble la douleur car cette condition humaine si fragile est notre loi à tous. Je pense que c'est aussi ce que ma mère aurait voulu. Même si ce jour-là, nous avons perdu notre maman, une enfant, une amie, un proche, que jamais nous n'oublierons. » J'avais réussis tant bien que mal à retenir mes larmes. Tandis que je reprenais mon souffle, je pouvais apercevoir les invités pleurer comme de vraie fontaine. Descendant de l'estrade, je pris une poignée de terre, et le jeta sur son cercueil. « Adieu maman... »


❝ La liberté est une sensation de bien-être, que jamais je n'avais pu ressentir auparavant.❞

Un an s'était écroulé depuis sa mort. La vie à New-York devenait insupportable avec tous ces regards compatissants et remplis de pitié. A bout de nerf, avec mon frère, nous avions décidé d'aller vivre chez ma tante à San Diego. D'après ma famille, cette femme était avocate et plein aux as. C'est sûr, nous allions avoir la belle vie. En tout cas cette vie à trois était très délicate. Mon frère était tombé dans une sorte de délinquance. Il n’arrêtait pas de sécher les cours et de se droguer, pour paraître plus cool. Un vrai Peace and Love, ou plutôt Hate and War. Depuis cette tragédie, entre mon frère et moi, tout avait changé. Je détestais le voir sombrer petit à petit. J’essayais tant bien que mal à lui faire surmonter cette épreuve, mais en vain. De mon côté, j'avais littéralement changé. Adieu la ''gentille'' petite fille, modèle et tout le tralala. Parce que, dans ce milieu, il était interdit d'avoir des faiblesses. Il fallait que je devienne vraiment une femme forte, égoïste et sûre d'elle.


Après mon diplôme, tout ce déroula très vite. J'avais enfin réussi à trouver ma voie et travaillais maintenant dans le domaine de l'histoire. En ce moment même, je n'ai toujours pas eu signe de vie de mon père, et mon frère, ... n'en parlons pas. En tout cas, aujourd'hui, ce fut la première fois que je pouvais me sentir libre et indépendante. Tout ce que j'espère, c'est que mon futur ne se passera pas de la même manière que mon passé.