Le 11 mars 1999, Londres

Assise sur mon lit, je regardai ma mère qui faisait des va et des vient entre le bureau de mon père et le chambre de mon frère. Dispute, énième dispute comme d’habitude. Ils avaient trouvé de l’herbe dans son manteau. Pas malin, me direz-vous mais mon frère n’a jamais été un garenne. Etre la petite dernière de la famille, c’est plus simple. Et c’est moi. Deux grands frères et deux catastrophes. Tobias et Ewan n’arrêtent jamais. Il faut dire que les jumeaux sont comme ça. On n’y peut rien. Plus tard, on les comparera aux jumeaux Weasley (sauf qu’ils ne sont pas roux) ou aux jumeaux Scavo. Prison pour l’un dès sa majorité et un métier chiant pour l’autre. Le fait que nos parents les aient séparé cette année-là à changer la done. Pour quelles raisons ? Divorce. Adultère. Remariage. Bref, une famille qui se sépare et se recompose alors que je n’avais que onze ans. Ma mère nous fait quitter à Tobias et moi-même l’Angleterre qu’on chérie tant et nous voici aux Etats-Unis. Ou les gens qui parlent comme s’ils mâchaient un chewing-gum. Triste sort comme on dit si souvent. Je quitte la patrie du thé pour arriver dans le pays du coca, du mauvais café (j’aime celui fait par les Français) et des filles superficielles. « Tu penses qu’on va sortir épis de Maïs ? » Surnom à la con donné par mes frères encore présent de nos jours. Je hausse les épaules avant de balancer mon sac sur mon épaule. « On verra bien. » Ouais bah j’ai vu, merci.

26 septembre 2004, Californie

« Mes cheveux virent au blond. » Qu’est-ce que j’en ai à cirer de ta tignasse franchement ? Je lève les yeux au ciel tandis que je me plonge dans mon livre. Ma mère nous a fait changé d’état trois fois. New-York, Dallas, Los Angeles. Pas vraiment le même lieu hein ? J’espère que cette fois-ci sera la bonne. Au moins l’avantage, c’est que je n’ai pas à me sociabiliser. « Maman, envoies moi dans un lycée français s’il te plait ! » Trois demandes, trois refus. Je suis dans un lycée publique avec toutes ces… ces choses. Pompom girl… Elles ne sont pas bien dans leurs têtes ces nanas. « Dis-moi Maïssa, est-ce que tu veux rejoindre la team des meneuses de claques ? » Non mais je veux t’en donner des claques. JAMAIS, plutôt mourir. Je faisais de la danse. Enormément et j’étais douée, d’où la proposition. Mais je pense que ce qui les a fait rager c’est que quelques années après, je suis sortie avec le quaterback du lycée et j’ai fini reine du lycée. Pour ma défense, je pensais qu’il m’aimait alors qu’il ne courrait qu’après ma vertu. Ça, c’est fait ! Au suivant…

28 mars 2006, somewhere

« Je suis navrée mademoiselle Hill mais vous ne pourrez plus danser à nouveau. » Pardon ? Quoi ? Qu’est-ce que… Nan mais euh, c’est une blague ? Une chute… en rollers. De trop. Ma jambe est cassée, mon genou disloqué, je suis foutue. Je n’en crois pas mes oreilles et je pense que ma vie s’effondre. Mon petit-ami, Owen me tient la main. Nous sommes ensembles depuis six mois. « Ce n’est pas grave Maïs’, tu vas remarcher. » Je vais remarcher mais je ne danserai plus jamais. Les larmes me montent aux yeux. J’ai honte de moi, j’ai honte d’avoir fait cette chute stupide. La danse c’est comme la lecture, si on me l’enlève, je me fane. « Va-t’en, s’il te plait. » Rupture, cris, larmes… je n’en peux plus, je ne supporte plus. Oui, je l’aimais mais pas autant visiblement. Des mois, des mois il m’a fallu pour remarcher correctement. Des mois de vaines tentatives. Puis, un jour, le miracle. Ma jambe fonctionnait à nouveau. Un garçon était présent avec moi. Il avait l’air abattu. Je ne posais pas de questions. Moi qui étais un véritable courant d’air d’habitude, me voilà muette. Il était beau. On aurait dit un prince charmant. Un jour, un jus de fruit, un sourire et un prénom. « Je m’appelle Asher. » Asher. Joli prénom. Il mâchouille du chewing-gum. C’est un gamin mais c’est pas grave. Tout s’est fait petit à petit. Un couple. Deux ans. Des nuages. J’étais amoureuse pour la seconde fois. « Je t’aime. » Des mots si simples, si spontanés et pourtant qui font tellement souffrir.

Un beau jour de 2008, somewhere

« Je m’en vais, Maïssa. » Pardon ? Qué ? Que ? Acquiesce juste. Le courant d’air s’était tu pendant deux ans et se tait encore. Ma personnalité a été bridée. Quelques engueulades, quelques accros mais à nous deux, on formait un parfait tandem. « D’accord. » D’accord ? Pardon ? D’accord ? Mais qu’est-ce que j’ai fumé ? Un dernier ‘au revoir’, un dernier regard puis il était parti. C’est là que ma vie est partie en fumée. Comme s’il représentait la stabilité. Un jour de cette même année, alors que j’avais passé tout l’après-midi à pleurer comme une madeleine, Owen est revenu. Owen, mon premier amour. Il avait l’air mal. « Tu me manques, Maïs’. » Je sais, je ne t’aime plus. Je veux t’aimer à nouveau. Deux ans qu’on ne s’était pas vus. Il avait changé. Par dépit, par peur de la solitude, je suis retournée auprès de lui mais ce n’était plus pareil. J’aimais un autre… mais avec le temps, des sentiments peuvent se développer.

11 septembre 2009, Londres

« Accusé, levez-vous. » Assise, au tribunal, ma main enserrant celle de Tobias, je regarde Ewan dans le box des accusés. Un appel de mon père. Ewan avait tué quelqu’un par accident, il allait partir en prison. Tobias s’est stabilisé après la séparation d’avec son frère jumeau mais pas le plus jeune. Les larmes roulent sur mes joues tandis que je le vois recevoir sa sentence. Vingt ans fermes. Je ne le reverrai plus avant mes quarante ans. Je pleure toujours autant avant de manquer d’aller me jeter dans ses bras. Nous n’avons pas le droit. Owen me console, mon père a l’air grave, ma mère l’a reniée. Il n’a plus que nous. Il est parti. Juste avant mon mariage. Juste avant que je commence une nouvelle vie. Je repars donc avec mon fiancé dans ce pays que j’ai appris à accepter et le 24 novembre, nous nous sommes dits oui devant Dieu. Jusqu’à ce que la mort nous sépare et la mort est arrivé trop tôt.

23 mars 2012, San Diego

« On sera bien ici te dis-je. » J’ai l’air sceptique en regardant Owen qui s’affaiblit de jour en jour. J’ai si peur de le perdre parce que j’ai appris à l’aimer malheureusement. Enceinte de six mois, nous sommes heureux. Pour l’instant. Mais je ne veux pas venir vivre dans cette ville. J’ai un mauvais pressentiment. Et j’avais raison. Tout s’accélère trop vite à mon goût. En mai, on l’hospitalise. Sa maladie a pris le dessus. Je dois y faire face toute seule. Alors Tobias vient vivre avec moi parce qu’il ne faut pas brusquer une femme enceinte. Il ne comprend pas, il ne comprend rien. En juin, je perds mon bébé des suites d’une fasse couche. J’en suis anéantie. Je ne sais plus quoi faire. Je n’y arrive plus. « Reste avec moi s’il te plait. » Je lui chuchote tous les jours. Je fais face, je reste près de lui à chaque moment, chaque instant mais il s’éteint le 25 aôut 2012 en pleine nuit. Je me retrouve alors de nouveau seule face à ma plus grande phobie dans une ville inconnue. J’ai enterré mon bébé, mon mari. Heureusement que Tobias est avec moi. Mais j’ai trop souvent dit amen. Il n’aurait pas voulu que je me laisse abattre alors je fais ce que je sais faire de mieux, je survis.