« Elle est où maman ? » Je savais qu'il aurait voulu me répondre le plus sincèrement possible, mais je compris bien vite que lui-même n'en avait pas la réponse. Je constatais que trop bien du haut de ma dizaine d'année, que mon père était comme dépouillé de toute parole lorsque j'abordais le sujet. « Je sais pas chérie. » Mais je ne m'attardais pas. Jusqu'à présent, je n'avais jamais manqué de quoi que ce soit, pas même de l'amour maternelle indispensable à tout être de cet âge-là. Tu vois, je suis née un beau jour de mai, ouais pour une fois le soleil avait accepté de pointer le bout de son nez, peut-être était-ce pour m'accueillir, bien qu'en réalité j'en doute fortement. Seaford, petite communauté d’Angleterre dans laquelle il fait bon vivre ; c'est ici que j'ai grandi. Il faut avouer que ce n'est pas un endroit qui déborde d'occupations, davantage pour un adolescent, mais c'est chaleureux, et c'est principalement cet esprit d'entraide et de gentillesse qui m'a beaucoup apporté durant toutes ces années. « Tu viens à la maison après l'école ? » Lorenzo ; autrement dit, mon meilleur ami. Nous, nous côtoyons depuis nos plus jeunes âges, et ce principalement parce que nous fréquentions les mêmes écoles, sans parler de nos parents respectifs tous deux divorcés. Ouais, faut dire que ces deux-là cachèrent bien leur jeu pendant plusieurs années, avant que leur cachoterie finisse finalement par éclater au grand jour. À vrai dire, leur relation ne surpris personne, ce fut en réalité pour nous une sorte de soulagement. Cependant, un an après, on fut contraint de cohabiter sous le même toit, certes ce ne fut qu'une énième bonne nouvelle, seulement nous étions encore loin de nous imaginer ce que ce rapprochement presque inattendu risquer d'engendrer.

« Putain, mais casse toi de là! » Comme prévu, notre attache est devenue totalement opposée à celle qu'elle était autrefois. En réalité, nous ne parvenions plus à nous adresser la parole, comme deux individus parfaitement civilisés. « Désolée pour toi ; mais c'est aussi chez moi ici. » Étant âgée âgée de dix-huit ans et lui de quelques années de plus, environ, on a semblé négliger ce qui nous liait autrefois, en laissant place à une toute autre sorte de relation basée sur l'opposition permanente. Si nos vieux filaient quant à eux le parfait amour, ce ne fut plus réellement notre cas. Je regrettais parfois intérieurement que les choses se soient passées ainsi. « Au fait ; Alex vient dormir à la maison ce soir. Donc si tu pouvais éviter de... » « D'être là ? Non mais tu rêves, je peux pas me la blairer cette pétasse en plus! » J'crois qu'en fait, j'étais jalouse. Affreusement jalouse. Je refusais d'apercevoir Lorenzo trop bien accompagné, et malheureusement pour moi, ce ne fut que le début d'un long enchainement de conquêtes, tandis que de mon côté, je semblais un brin plus réservée. De cette façon, notre relation s'est dégradée au fil des jours, et ainsi je devais me résoudre à ce que ça ne s'arrange pas à l'avenir. Aussi stupide que cela n'y puisse paraitre, cet éloignement soudain me ramenait à l'abandon de ma mère, lorsque je n'étais encore qu'une enfant. Si jamais je ne l'avais mal vécu jusqu'à présent, ce fut une autre histoire, lorsque j'étais forcée de constater que l'adolescence pouvait détruire la moindre attache sur son passage sans aucune difficulté. Peut-être était-ce vrai, que j'y portais trop d'attention. « Qu'est-ce qui se passe Nes' ? » Pour une surprise, en voilà une. Il était entré dans ma chambre sans un bruit, alors que je restais adossée contre la fenêtre à contempler les falaises s'offrant à moi. Le paysage était splendide vu d'ici. « J'ai remarqué que ça n'avait pas l'air d'aller ces derniers temps, et je voulais que tu saches que je suis là pour toi si tu as besoin. » Sans un mot, je me contentais encore d'esquisser un bref sourire, en l'observant refermer la porte sur son passage. Je savais que je pouvais encore compter sur lui, mais je n'en avais plus envie.

« T'aurais pu me le dire. Tu sais quoi ? Tu as raison dégage! » Un an après, et malgré ces propos presque réconfortants en cette soirée d'hiver passée, nos coups de gueules reprirent le dessus. Notre lieu de vie si chaleureux autrefois, ne devenait qu'un tapis de noirceur face à chacun de nos accrochages. Mais, cette fois, je fus comment dire ? Un semblant enthousiaste à l'idée de quitter le cocon familial et toutes ces broutilles afin de poursuivre mes études en journalisme. Faut croire que ce choix, un brin précipité, certes, n'était pas au gout de celui qu'était devenu mon demi-frère. Cette fois, je voulais me détacher officiellement de toutes ces histoires et laisser Seaford, pour des jours meilleurs. L'université de San Diego, fut pour moi une alternative déterminante, car elle me permettrait de me rendre compte de mes capacités à l'avenir, bien que dans le fond je restais persuadée, de vouloir seulement éviter au mieux les conflits familiaux, afin de tout reprendre à zéro. Lâche, ouais peut-être, mais je ressentais le besoin de redevenir celle que j'étais autrefois.