•• Il y a, oui, un truc qui cloche. Quelque chose d'anormal. Je suis là, je suis bien, je me sens entier. J'ai l'impression que je n'ai plus à me cacher, j'ai l'impression qu'à travers son regard, elle me connait. Alors que je devrais m'en foutre totalement, je me demande si je lui plais, je me demande si elle est bien elle aussi, à ce moment-là. Mais je ne devrais pas me demander tout ça. Vous comprenez ? Non, bien sûr que non, vous ne comprenez pas. Une fois en elle, j'ai vraiment l'impression d'avoir trouvé... rah ouais non, j'préfère me taire, parce que si je parle de "moitié" ou quoi que ce soit, je vais passer pour un romantique de première. Nos lèvres restent soudées et je sens qu'elle étouffe ses gémissements dans nos baisers enfiévrés. Ça me plait. Tout comme le fait de sentir ses ongles s'enfoncer légèrement dans ma peau – non non promis je ne suis pas maso. Je lui mordille doucement la lèvre, laissant mes mains vagabonder sur son corps parfait. À un moment alors, je détache nos lèvres pour la regarder, simplement la regarder. Ma respiration est hachée, et j'ai ralentis mes mouvements de bassin. Comme si je voulais un peu figer l'instant. Elle est terriblement magnifique. Et je préfère ne pas trop réaliser que c'est vraiment avec elle que je suis en train de faire tout ça, parce que vu le déferlement de sensations bizarres qui m'étreignent, je crois que sinon, je m'enfuirai direct. Puis alors, je souris. Un gosse, un pauvre gosse qui vient de voir son premier cadeau de Noël quoi. Puis je l'embrasse de nouveau, comme une pulsion, comme un besoin. Oui, j'en ai besoin, réellement, et je fais taire cette remarque dans ma tête en reprenant mes mouvements, accélérant encore la cadence. Je n'ai déjà pas envie de la quitter.

•• J'ai besoin de cette réputation, vous comprenez ? J'ai besoin qu'on me prenne pour un salaud, pour un mauvais garçon, pour ce genre de type qui n'attache pas plus d'importance à une femme qu'à un géranium, pour le type qui préfère se saouler dans son coin et aller profiter de pauvres filles sans défenses plutôt que de construire une vie réelle et censée. Oui, j'ai besoin de ça, j'ai besoin que les gens pensent que je suis réellement comme ça. Au moins, ils ne m'aimeront pas. Et c'est tout à fait ce que je veux : qu'ils ne m'aiment pas. Construire cette vie censée et possible ? À quoi bon ? J'avais bâtis un monde entier et il s'est effondré ; je déteste vivre dans les ruines qui peuplent pourtant mon organisme tout entier, de mon coeur à mon âme. Je ne vois pas sa larme. En fait, j'ai fermé les yeux. Pour plonger plus encore au fin fond du rêve, pour caresser des doigts l'audace et l'amertume que me laissera pourtant ce souvenir acidulé, qui ne sera plus qu'un pauvre filament de bonheur où je pourrais me raccrocher. Je sens que c'est la fin, et mes mouvements ralentissent ; je me laisse tomber à ses côtés et rouvre mes yeux. Je n'arrive pas à jouer au connard avec elle, je suis incapable de me montrer agressif et distant; tout en elle me pousse à me montrer au meilleur que je puisse être. Je cherche son regard. Je devrais partir, m'enfuir, comme toujours, comme un voleur, comme ce briseur de coeur que je veux être. Mais je caresse doucement sa joue avec un sourire. « J'ai le droit de dormir ici ? Tu comprends, passer la nuit dans cette superbe villa quatre étoiles... » Jouer, mimer, camoufler la vérité. C'est ce que je fais le mieux, prendre un ton désinvolte, comme si je me fichais un peu de la réponse, comme si je n'en avais rien à faire ; comment une fille comme elle me laisserait dormir ici, au fait, moi l'épave ? Ne pas lui dire que ce n'est pas pour sa villa que je veux rester. Ne pas lui dire que oui, j'ai peur qu'elle me vire ; mais bien plus de sa vie que de sa villa. Je veux profiter de son regard où je me sens différent, où le reflet que j'y vois ne m'appartient plus ; demain, ou dans quelques minutes, elle réalisera que c'était une erreur. Que je suis une erreur.

•• Pour moi, il est clair qu'elle y croit, à ce manège. Que voulez-vous, j'ai bien trop de fierté pour pouvoir croire à un seul moment que mon masque a des failles. Pourtant, je crois que c'est une des seules pour qui je me dévoilerai volontiers. Enfin... une des seules avec qui je n'aurais pas peur. Je sais qu'elle ne me jugerai pas, je sais qu'elle ne me considérerait pas coupable de ce qui est arrivé à Aurore, pas comme je me considère moi, en tout cas. J'ai l'impression d'entendre son coeur en rythme avec le mien. Je me sens... juste bien. Ouais, j'sais, pour vous vous croyez que c'est rien, mais y a tellement jamais de moments où je suis seulement bien que j'vous assure que la différence, je la sens. Et que c'est grâce à Isalyne, je le sens aussi, même si ça, j'suis prêt à l'avouer à personne et encore moins à moi-même j'crois. Je lui demande alors si j'ai le droit de rester dormir ou pas. D'habitude, je préfère m'en aller direct, ça m'évite d'affronter les regards de mes conquêtes au petit matin. Mais la vérité, c'est que j'ai pas envie de la quitter, là. Je souris à sa condition. « Promis, j'te ferais même le p'tit dej si tu veux. » Encore une fois, je dis ça avec un sourire un peu espiègle, comme si je jouais toujours. Mais ça s'annonce dangereux de rester en plus pour le petit déjeuner et tout, pourquoi est-ce que j'ai dis ça en fait. Bon, c'est fait. Alors qu'elle dépose de nouveau ses lèvres sur les miennes, je réponds tendrement à son baiser en frissonnant de nouveau. C'est à la fois douloureux et terriblement bon. Je caresse la chute de ses hanches, puis remonte à ses cheveux dans lesquels je passe mes doigts. Je finis par rompre le baiser, plongeant simplement dans son regard sans m'en décrocher, l'embrassant littéralement des yeux. Je finis par déposer un baiser grisant dans son cou avec un sourire, mon souffle chatouillant sa peau douce et satinée, avant de poser ma tête sur l'oreille, me disant que j'ai encore envie de l'embrasser.

+ J'ignore qu'elle voit quelqu'un d'autre en moi. Moi aussi je vois quelqu'un d'autre en elle. Elle ressemble à Aurore, dans ses manières, dans son accent français, dans ses pensées. Est-ce donc ce sentiment de combler le vide de quelqu'un par la présence de l'autre qui nous assemble ainsi ? Le temps me semble loin et figé; il me semble que je la connais depuis des années et que ce moment est une évidence, quelque chose de normal. Est-ce là le début d'un désir de me poser quelque part avec quelqu'un ? Rien que cette pensée déclenche en moi un fort goût de trahison. Oui, j'aurais trop l'impression de traduire celle que j'appelais "la femme de ma vie". Je laisse tout ça de côté. Je lui souris d'un air amusé. « Eh bien ça va changer, princesse. » Je garde mon sourire. Elle se couche un peu sur moi et je lui lance un regard feignant la surprise. En réalité, j'adore son contact. Je réponds de nouveau à son baiser, retrouvant ses lèvres avec un soulagement anormal sachant que je venais de les lâcher il y a à peine quelques secondes. Ses lèvres descendant sur mon torse me font frémir à chaque fois mais je ne détourne pas mon regard du sien, la fixant toujours lorsqu'elle pose sa tête pour me regarder simplement. À cet instant, je me croirais presque heureux, presque sur la voie de la guérison, presque am... non rien. Ma peau frémit à chacune de ses caresses et j'étouffe un rire en l'entendant. « Je m'entretiens, chérie. » Oui j'ai toujours besoin d'être un peu comme ça, de ramener ça à un jeu, ça me donne l'impression que... que quoi au juste ? Que je ne m'attache pas ? Peut-être. Soudain – parce que moi non plus j'ai tout sauf envie de dormir et de mettre fin à cette soirée – j'inverse nos rôles et me mets de nouveau au-dessus d'elle. Trop tenté par ses lèvres, je l'embrasse puis plonge dans son regard. « Je t'ai déjà dis que tu étais ravissante ? Non parce que... » Je m'interromps pour lui donner toute une série de baisers, dérivant parfois sur sa mâchoire et dans son cou. « ... si t'étais pas aussi jolie j'aurais peut-être moins envie de t'embrasser constamment... » je fais alors, murmurant chaque mot entre deux baisers. Puis, je me redresse pour la regarder de nouveau. Oui c'est ça. Je me sens bien. Bien là, avec elle. Je détaille les traits de son visage fin avec un sourire qui ne m'appartient plus puisqu'il lui est pleinement et sincère destiné.