tell me where the years go
« On l'ouvre ensemble ? » déclara Grayson, les yeux lumineux. Isaac lui jeta un sourire discret, hochant légèrement la tête. « Ben quoi ? T'as pas hâte de savoir ? » Isaac leva les yeux au ciel, restant silencieux pendant quelques secondes avant de répondre « Mais si, évidemment, mais ... » « T'as la trouille c'est ça ? Sérieux, t'es le mec le plus talenteux que je connaisse. Alors si t'es pas pris, aucune chance que je le sois. Allez ouvre-la ! » Isaac soupira, puis se mit à rire nerveusement. Il tourna plusieurs fois l'enveloppe entre ses mains, la contemplant comme si c'était la chose la plus précieuse qui soit. Jetant un dernier regard à son meilleur ami, il déchira le bout du papier et en tira une lettre. Grayson fit de même avec son enveloppe, déplia la lettre et se mit à lire à tout de vitesse. Isaac parcourut rapidement la sienne, et ses yeux se posèrent sur les derniers mots du bout de papier. Il croisa le regard de Grayson. « Alors ? » lança ce dernier « Je suis pris. » « Moi aussi mec, moi aussi ! Une fois ce foutu diplôme en poche, à nous l'école d'art ! » Il attrapa Isaac par les épaules et lui donna une accolade pleine d'affection, puis se détacha au bout de quelques secondes. L'expression d'Isaac était toujours la même. Neutre. Aucune trace de joie ou d'engouement. Grayson fit la moue. « Ben quoi ? T'es pas content ? » « Si si, évidemment. » « C'est quoi le problème alors ? C'est ce que t'as toujours voulu faire non ? » « Je croyais, ouais, et ... » « Isaac, tu plaisantes là ? Tu veux plus aller à Chelsea ? » Isaac baissa les yeux, regardant ses baskets durant de longues secondes « J'ai parlé avec mon père et ... Tu sais ce qu'il pense de l'art ... Enfin, je crois qu'il a raison, c'est peut être pas pour moi après tout ... » Grayson le força à relever les yeux vers lui, s'exclamant « Nan mais tu plaisantes ? Tu dessines mieux que personne, tu adores ça, t'es fait pour ça ! Et depuis quand tu écoutes ton père ? Tu vas pas écouter ses conneries et devenir flic comme lui quand même ? » Isaac le regarda longuement. Grayson savait déjà ce qu'il allait dire. Et il en avait mal au cœur. « Peut être bien que si. Tout ça c'est rien .. qu'une passion, Grayson. Je dois faire quelque chose de ma vie. Quelque chose d'utile. Il faut grandir un jour, tout ça c'était rien ... qu'un rêve, un rêve de gamin. » Son meilleur ami ne détourna pas son regard du sien, incapable de répondre quoi que ce soit. Il était sans voix. Qu'était-il arrivé à Isaac, lui, son ami ? Ce gars si créatif, ambitieux, rêveur et qui passait son temps à rejeter les principes de son père ? Était-ce vraiment ça, grandir ? Envoyer valser des années de vérité et se résigner à aller à l'encontre de sa plus profonde nature ? Dégouté, Grayson le quitta finalement des yeux, prenant l'enveloppe d'Isaac entre ses mains pour ensuite la jeter à terre. Puis il fit demi-tour, et s'éloigna d'Isaac sans se retourner.
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« Je suis fier de toi fiston, bien plus encore que tu ne peux imaginer ! Bon sang Lily, viens embrasser ton fils ! » Peter Eastwood donna une tape dans le dos d'Isaac, puis lui tendit une coupe de champagne, le sourire jusqu'aux oreilles. Lily courut jusqu'à son fils et le serra dans ses bras, embrassant ses joues avec tendresse. Elle était fière, bien sûr. Mais pas autant qu'Isaac. C'était la première fois depuis tant d'années qu'il le regardait comme ça, avec les yeux aussi brillants. « Alors Sergent Eastwood, qu'est-ce que ça fait d'avoir une promotion ? » lança Lily avec un brin d'amusement dans la voix. Isaac leva sa coupe vers elle, et lança « Oh je ne serais satisfait que lorsque j'aurais dépassé papa ! » Ses parents se mirent à rire, contemplant la nouvelle insigne de leur fils. Et voilà, il l'avait fait. Et il était doué. Il était entré dans la police et maintenant il grimpait les échelons de façon précoce, au plus grand plaisir de sa famille qui n'hésitait pas à vanter les capacités de son fils. Isaac était un bon flic, il fallait l'avouer. Il était téméraire, responsable et avait du répondant. Ses supérieurs l'appréciaient, ses collègues le respectaient. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour obtenir cette promotion. Et puis, c'était le fils du commissaire divisionnaire, alors il valait mieux ne pas lui chercher d'ennuis. Quant à lui, il se plaisait plutôt bien dans son boulot. Au début il avait été un peu sceptique, lassé de toutes les histoires qu'il avait entendu sortir de la bouche de son père. Il n'avait jamais vraiment voulu être flic, il l'avait choisi pour que son père soit fier de lui et c'était tout. Mais une fois sur le terrain, il avait appris à aimer son métier. Son truc, c'était pas de faire la circulation ou de faire des rondes dans les quartiers malfamés. Lui ce qu'il aimait, c'était le contact, les interventions. Il se sentait vivant, utile, et la passion l'avait gagné au fil du temps. Il aimait profondément ce qu'il faisait, il aimait les investigations et il aimait attraper les lascars qui causaient des troubles au pauvres gens. L'Isaac qu'il était devenu était à des années lumières de l'adolescent qu'il avait été. « Tu restes dîner, chéri ? » « Pas ce soir, on va fêter ça avec les collègues. Tiens d'ailleurs, je vais prendre des photos, il faut que je retrouve mon appareil. » « Il est dans ton ancienne chambre, il me semble. » Isaac lança un sourire à sa mère et l'embrassa sur la joue, puis il salua son père et se dirigea vers sa chambre. Il fouilla dans ses tiroirs et tomba finalement sur ce qu'il cherchait, son vieux Nikon avec lequel il aimait prendre tout et n'importe quoi en photo. Un sourire satisfait et un peu nostalgique se dessina sur ses lèvres, puis il fit demi-tour, prêt à quitter les lieux. Mais son attention fut retenue par un dessin au mur, une esquisse d'une maison, qu'il avait fait quelques années plus tôt. Son sourire s'effaça instantanément et son cœur se serra.
Ce n'est qu'un dessin Isaac, un vieux bout de papier. Il baissa la tête et quitta la pièce puis sa maison natale, se précipitant jusqu'à sa moto et démarra en trombe dans la nuit noire.
someone please call 911, tell them I just been shot down, and the bullet's, in my heart
« Eastwood, lève tes fesses de là, on a besoin de toi. » « Qu'est ce qu'on a ? » « Agression et vol sur Bateman Street, un témoin a appelé et il faudrait que tu y sois le plus vite possible. » Eastwood hocha la tête, puis enfila sa veste et attrapa sa clefs avant de rejoindre les escaliers et de descendre les marches quatre par quatre. Il grimpa dans sa voiture, puis s'empressa de joindre son collègue qui était occupé par une autre affaire. « Mason, c'est Isaac, ramène toi sur Bateman Street d'ici quinze minutes. » Il raccrocha après avoir eu une réponse positive de son collègue, puis appuya sur l'accélérateur tout en s'engouffrant dans la circulation londonienne. Quinze minutes. Il était un peu optimiste. Mais finalement, le trajet dura autant de temps que prévu et il atteignit rapidement l'adresse donnée, garant son véhicule sur le trottoir. Un homme se précipita vers lui, levant les bras au ciel. « Venez, dépêchez, elle est là- bas ! Il lui ont pris son sac et lui ont donné plusieurs coups au visage - » « Vous avez appelé une ambulance ? » déclara Isaac en accélérant. Mason le rejoignit presque immédiatement, saluant son collègue d'un bref signe de tête. « Non, j'allais le faire mais ... Cette femme ne veut rien savoir, elle ne veut pas d'ambulance ... Vous verrez par vous même ! » Isaac fronça les sourcils et accéléra encore plus, avant de finalement apercevoir une silhouette féminine. Elle était brune, elle avait à peu près son âge et elle avait la lèvre ensanglantée. « MPS. Vous êtes blessée ? » Il posa sa main sur son épaule et elle leva les yeux vers lui avant de dire « Je vais très bien, c'est juste une égratignure ! » Mason se chargea d'interroger le témoin, alors qu'Isaac reprenait « Qu'est ce qui s'est passé exactement ? » « Vraiment rien de grave, un homme a tenté de voler mon sac et comme je me suis défendue, il m'a frappé, et ensuite il s'est tiré avec le sac. Mais il n'y avait rien d'important dedans, et je n'ai même pas mal, mais cet homme tenait absolument à appeler la police et à vrai dire il ne m'a même pas demandé mon avis ... » Isaac ne put réprimer un sourire, jetant un coup d’œil au témoin qui était en train de déballer un récit très élaboré à Mason. Puis il porta son attention sur la jeune femme, tirant un calepin de sa poche intérieure. « Est-ce que vous pourriez me décrire cet homme ? » La jeune femme soupira, réfléchissant durant quelques secondes « Franchement c'était monsieur tout le monde, il était ni grand, ni petit, brun et avait une tête plutôt banale ... » « Un signe particulier ? » « J'ai pas vraiment eu le temps de regarder ! Demandez à l'autre là, je suis sûr qu'il sera ravi de vous le décrire dans les moindre détails ...» Isaac lui lança un nouveau sourire tout en prenant quelques notes. Il croisa son regard et songea que c'était la première fois qu'il rencontrait une fille aussi détendue à la suite d'une agression. « Bon, j'imagine que vous n'avez rien d'autre à me dire ? Vous êtes sûr que ça va aller ? » « Mais oui, je suis grande vous savez, c'était vraiment inutile de vous déplacer pour ça.» Isaac ne répondit rien, se contentant de poser son doigt sur la plaie de la jeune femme, un peu au dessus de sa lèvre, pour tenter de limiter l'hémorragie. Celle-ci eut un mouvement de recul, visiblement à cause de la douleur. « Vous allez devoir venir au poste pour faire une déposition, et puis, on arrangera ça. » « C'est obligatoire ? Vous êtes charmant mais je n'ai vraiment aucune envie de perdre mon temps là-bas, et puis je peux très bien me soigner toute seule ... » « J'insiste ! C'est la procédure et puis, vous n'allez pas vous en tirer comme ça. Je ne serais satisfait que lorsqu'on aura retrouvé votre sac. » « Vous avez de l'espoir, dites moi ! » Isaac leva les yeux au ciel tout en soupirant. « Bon, vous venez ? » « Non, pourquoi ? Ma déposition, je viens de vous la donner. » « Mademoiselle-» « Vous êtes tenace, mais ça ne marchera pas avec moi. » Isaac se mit à rire, avant de répliquer « Non mais je suis de la police, bon sang, arrêtez de discuter, et suivez moi ! » La jeune femme lui lança un sourire amusé « Ouh, attention l'officier s'énerve ! Vous n'êtes pas très effrayant, sérieusement ... » « Quoi ? Vous plaisantez là ? » « J'ai l'air de plaisanter ? Bon, je ne viendrais pas avec vous, alors si vous avez des nouvelles de mon sac, ce qui me paraît bien ambitieux, vous n'aurez qu'à me passer un coup de fil, en attendant je dois y aller. » Isaac ouvrit la bouche, incapable de répondre quoi que ce soit. Il était sans voix, littéralement. Il venait de se faire clouer le bec par une fille qu'il était venu aider, à la base. C'était le comble ! Il fronça les sourcils, regardant la silhouette féminine qui s'éloignait avant de la rattraper par le bras. « Et comment voulez vous qu'on vous appelle, vous ne m'avez même pas donné votre nom ! » « Myliana et vous ? » « Ça ne vous regarde pas. Myliana comment ? » « Ça ne vous regarde pas ! » Elle lui lança un sourire plein de malice et Isaac sut instantanément que cette fille-là ne serait pas comme toutes les autres. Son regard brillait et Isaac sentait très bien qu'il n'était pas indifférents à ces yeux-là. « Je vais finir par devoir pour menotter les poignets ... Ce serait dommage d'en arriver là ! » « Des menottes, déjà ? Vous êtes un rapide, vous, je ne nous savais pas si dévergondé ! » Isaac leva les yeux au ciel une nouvelle fois, songeant qu'elle était peut être mignonne, mais elle était aussi terriblement agaçante. Et le pire, c'était qu'il aimait ça.
you are the sunshine and the sun is gone
Isaac claqua la porte de sa voiture et se mit à courir, oubliant le regard des passants et tout signe de vie autour de lui. Il courait toujours plus vite, et lorsqu'il passa les portes d'entrée de l’hôpital, il était haletant. Ses yeux, humides, étaient plus vigilants que jamais et quand il entra, il regarda partout autour de lui sans vraiment savoir où aller. Des tas d'images défilaient dans sa tête. Des scénarios divers et variés, mais tous insoutenables. Il n'en pouvait plus, il avait l'impression que sa tête allait exploser. Il se jeta presque sur une infirmière près de l'accueil, qui lui indiqua le chemin à prendre pour aller parler à un médecin du bloc opératoire. Il se précipita vers les escaliers, trop nerveux pour attendre dans un ascenseur, et monta les marches en un temps record. Quand il arriva à l'étage, il s'arrêta un instant. Son regard se posa sur les blouses blanches, les bistouris et les civières qui circulaient un peu partout. Ce n'était pas possible. Tout ça n'était qu'un rêve. Myliana ne pouvait pas être là dedans. Elle n'avait pas le droit de lui faire ça. Isaac reprit sa route, mais fut brutalement arrêté dans sa course. Un chirurgien, sûrement. « Qu'est ce que vous faites ici, monsieur ? » « Je cherche ma fiancée, elle ... elle a eu un accident de voiture, et je ... » Le chirurgien ne répondit rien, et plongea son regard dans le sien avec intensité. Isaac sentit son cœur se serrer. Pourquoi le regardait-il comme ça ? Ce n'était pas possible, vraiment pas. « Monsieur Eastwood. » Il marqua une pause, puis prit une grande inspiration. « Monsieur Easwtood, je suis désolé. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, mais les blessures étaient bien trop graves ... » Et il posa sa main sur l'épaule d'Isaac. Ce dernier le repoussa brutalement, se mettant à hurler « Non ! Non ! Je veux la voir, je veux la voir, tout de suite, amenez moi à elle ! » « Monsieur, c'est fini, vous ne pouvez pas la voir pour l'instant et-» « Non, non, ce n'est pas possible ! Je veux la voir ! » « Calmez vous, je suis désolé, mais il faut vous calmer monsieur ... » Isaac le contempla sans rien dire, avant de faire demi tour. Il envoya valser un chariot, et tenta d'ignorer les larmes qui coulaient sur ses joues, mais en vain. Des tas d'images lui revenaient à l'esprit, là comme ça, brutalement, sans qu'il puisse les contrôler. C'était terriblement confus, terriblement intense, mais il revoyait chaque étape de sa vie, chaque expression de Myliana, chaque rire, chaque pleurs et chaque dispute, il revoyait leur première rencontre, leur premier rendez-vous, leur premier, leur dernier baiser et la dernière fois où il lui avait dit qu'il l'aimait. Il continua sa course avant d'atteindre une salle vide, où il se laissa tomber sur une chaise, prenant sa tête entre ses mains. Il ferma les yeux pour effacer tous ces souvenirs, comme si cela allait lui enlever la douleur, cette affreuse douleur qui était en train de comprimer la poitrine. Mais rien n'y faisait. Il la revoyait, quelques heures plus tôt, elle était tellement vivante. Il entendait sa voix, quand elle lui disait " A ce soir !" si enjouée et fière, comme à son habitude. Il pouvait presque sentir sa présence, son parfum, à côté de lui. Mais lorsqu'il ouvrit les yeux et qu'il tourna la tête, Myliana avait disparu, elle n'était plus là, elle n'était plus là, avec lui.