•• Le soir, il y a du monde ici. La journée, personne. Sauf ceux qui s'entraînent, sérieusement, ou qui viennent ici pour se défouler. L'après-midi est à peine entamée que je suis venu m'entraîner. Cela me permet de me sentir vraiment moi-même. J'improvise, j'ai toujours été spontané en danse. Bref, ça dure une bonne heure et je finis par m'arrêter, transpirant. Je me douche – y a tout à disposition dans cette salle – et vais m'installer dans les gradins qui surplombent la salle, avec un bouquin. J'aime bien, c'est calme ici & j'adore attendre de voir si quelqu'un va venir s'entraîner. Généralement, perché sur les marches, on ne me voit pas. Mais la demoiselle qui vient s'entraîner après moi brise la coutume vu qu'elle me remarque, après que je l'ai observé pendant toute la durée de son entraînement. J'esquisse un sourire quand elle m'interpelle. De loin, je ne la reconnais pas. « Non, à part si vous demandez de continuer est un désir. » je lui réponds alors avec un grand sourire et un léger accent français audible dans ma voix. Mais bon, j'suis pas le seul Parisien – ou français quoi – à San Diego hein.

•• L'inconnue a aussi un accent français dans la voix, peut-être même plus prononcé que le mien vu que je suis aux Etats-Unis depuis mes douze ans. Elle est jolie, a un beau teint, de beaux cheveux sauvages, et de ce que j'en vois d'ici, un corps à faire pâlir plus d'une de ses amies. Elle me tend sa main, et je la regarde en écoutant sa "proposition". En fait, c'est presque une rhétorique parce qu'elle doit se douter que je vais accepter. En même temps, je suis pas un Chanteclair pour rien : relever un défi ne se refuse jamais chez moi. Surtout quand ça concerne la danse. Je me lève alors, un sourire naturel aux lèvres, attrapant sa main dans la mienne avec habitude. Chez moi, être tactile est plus qu'une habitude, c'est un mode de vie. « C'est avec plaisir. » Non, il n'y a pas d'arrogance ou de supériorité dans ma réponse. Seulement, je sais que je danse mieux que 90% de la population de mon âge. Ma "rivale" improvisée aussi, de ce que j'ai pu voir. Bien mieux, même. Je regarde alors les cd. J'hésite. J'aimerais bien lui montrer que je sais danser le tango. Et la salsa. Ou bien mettre du classique. Mais finalement, j'opte ce pour quoi je suis le plus à l'aise : le hip-hop, le rnb, tout ce qui est dansable de façon improvisée, tout ce que je danse dehors. Je mets alors un cd au hasard parmi ceux qui concernent ce genre & la ramène vers la piste de danse, plongeant mon regard dans ses beaux yeux. Elle me dit vaguement quelque chose, mais mon occupation est autre à ce moment-là que de me demander d'où est-ce que je la connais. Après-tout, je l'ai peut-être simplement croisée à l'école de dabse. « Bon alors... on s'affronte chacun à notre tour, ou bien prendriez-vous le risque de danser avec moi ? » Il y a un brin de provocation dans ma voix. Le jeu, toujours le jeu.

•• Le risque. Elle va prendre le risque. Rien que pour ça, je l'aime déjà. Elle n'est pas du genre à se conforter dans sa petite routine. Non, elle prend un risque. Et ça me plait. Parce que c'est qu'en prenant des risques qu'on se sent pleinement vivant. Elle n'est pas du tout méfiante, ce qui m'étonne un peu quand même. J'ai tant l'air que ça d'un gentil garçon alors ? Elle est maintenant juste devant moi et je la défie du regard de commencer la première. Après-tout, c'est elle qui a proposé non ? Elle commence à tourner autour de moi avec quelques pas que je connais, et que même sans avoir fait des années de danse, on connaitrait aussi. Je sais que ce n'est qu'un avant goût. Parce que je l'ai vue danser tout à l'heure, je sais qu'elle est capable d'aller bien plus loin que ça. Puis elle s'écarte et je souris. Ça va devenir intéressant. Elle me fixe et je comprends qu'elle attend de moi que je m'y mette aussi. Très bien. Je commence quelques mouvements simples pour laisser la musique m'envahir. Et d'un seul coup, me met alors à danser, à danser vraiment. Je me rapproche d'elle par la même occasion, au rythme de la musique, dans des mouvements spontanés et improvisés, comme toujours. Mais elle semble agir de la même façon. En fait, je retrouve des similitudes dans sa danse, et la mienne. Je souris. Il pourrait m'arriver les pires malheurs de la terre, quand je danse, rien n'existe.

•• Heureusement, je n'ai pas une tête de tueur quand même, on dit souvent plutôt que j'ai une gueule d'ange. :laclass: Elle se rapproche de mon tour alors que je continue de danser. Quand je danse, plus rien n'a d'importance. J'ai pas peur du regard des autres, j'ai pas peur des conséquences, j'ai pas peur de l'avenir. Je garde mon regard profond rivé au sien et soudain, un prénom franchit ses lèvres. C'est un peu comme un coup de fouet. Je me fige si soudainement que mon corps vacille un peu. Je la dévisage comme si elle venait de me parler en russe. Roméo. Ici, personne ne m'appelle Roméo, parce que depuis que j'ai douze ans et que j'ai quitté la France, je me présente sous Castiel. Mais mon vrai prénom, c'est Roméo. Et soudain, j'ai un flash. Je nous revois. Elle et moi. Hauts comme trois pommes, je devais avoir onze ans, douze tout juste peut-être. A se défier dans la rue, à se battre en duel. En dansant. En dansant... Je me suis arrêté complètement et la regarde fixement. « Non, c'est moi Juliette. » Juliette. Et nos parents qui nous appelaient "Roméo & Juliette". Et le baiser qu'elle a déposé sur mes lèvres le jour de mon départ. Les souvenirs m'envahissent. Les rues, ce n'était pas celles de New-York ou encore de San Diego. Mais les vieilles rues de Paris, dans la pénombre des crépuscules, après l'école.

•• L'électrochoc exactement. Je suis en phase de choc à ce moment précis, la dévisageant comme s'il s'agissait d'une blague ou d'un canular. Mais non, c'est elle. Et elle est là, devant moi bon sang. Je n'y crois pas. Pas vraiment. Les souvenirs remontent, toujours plus nombreux, toujours plus vrais. Il me semble encore sentir le goût de ses lèvres sur les miennes. Bordel, mon premier baiser quoi, j'avais douze ans, et c'était elle. Et voilà que huit ans après – on adore le chiffre "huit" pour les retrouvailles faut croire – elle est là de nouveau devant moi. Je me rapproche un peu d'elle aussi, esquissant un sourire. Ses mots me laissent perplexe. Moi non plus je ne pensais jamais la revoir. Comme quoi on se goure quatre-vingt dix-neuf pourcents des cas quand on suppose quelque chose. Je baisse les yeux un instant avant de les relever. « Moi ce que je me demande, c'est comment depuis tout à l'heure j'ai fait pour ne pas te reconnaître. » Maintenant qu'elle est là devant moi, ça me semble invraisemblable. En l'observant vraiment bien, je retrouve des expressions familières, des mimiques, son sourire, ses beaux yeux clairs. « Je pensais pas te revoir non plus, surtout sur ce continent... quand as-tu quitté la France ? » Soudain, par une pulsion, je lui attrape la main, comme pour me persuader qu'elle est vraiment là devant moi.

•• Maintenant qu'elle est là devant moi, je ne peux que me rendre compte que c'est parfaitement elle. Bon sang, elle est devenue vraiment magnifique. Les mêmes yeux bleus-gris. Les mêmes cheveux blonds, le même minois. Encore plus belle. Elle serre ma main dans la sienne. Je l'écoute avec attention, notant les détails dans ma tête, et hoche la tête. « Oh je vois. » Non, je ne suis pas surpris par la danse classique. C'est pas son genre, mais ça n'est pas le mien non plus & pourtant, j'en ai fait. J'pense que pour avoir de bonnes bases en danse, 'faut accepter de passer par la case classique. Et puis, ça me plaisait quand même, et il m'arrive d'y inclure quelques mouvements, bien qu'adaptés à mon genre de musique, dans mes chorégraphies. Je secoue la tête. « Mes parents, tu sais. Déménager, encore et encore. Ils ont cru que comme ça, j'arrêterais de fuguer pour aller danser dans la rue. Mais ça n'a fait qu'empirer. Je suis arrivé ici à mes quinze ans. » Une question me vient à l'esprit : comment a-t-on fait pour ne pas se rencontrer avant ? Bizarre. Je lui souris, la regardant dans les yeux. « J'ai jamais oublié mon départ, tu sais. » Ou plutôt, le baiser qu'elle m'avait donné, en référence.

•• Eh oui, moi aussi je pensais que New-York, j'allais y faire ma vie. Danser là-bas, avoir mon heure de gloire là-bas, trouver l'amour là-bas, me marier là-bas.. Eh ben non. Mes parents ont choisi pour moi. Ça sera San Diego. Et je me plais encore plus ici en fait. C'est moins grand, c'est moins étouffant, tout en gardant une vasteté – ça se dit pas, mais on dit quoi alors ? vasticité ? vastité ? vaste.... – et une liberté de mouvements grandioses. Je secoues la tête. « Oui c'est assez incompréhensible quand même. » Je soupire et fronce les sourcils. « Oui je viens souvent ici. Et aussi dehors, tu danses toujours dans la rue ? » Je lui demande, parce qu'il se peut qu'elle ait arrêté. Je ne l'ai jamais vu à l'école de danse de San Diego, mais il y a beaucoup d'élèves, peut-être nous sommes nous loupés. Ou alors peut-être n'y est-elle pas inscrite. Je la regarde toujours, détaillant son visage et je regarde presque sur son minois une expression gênée. Je souris. Elle est adorable. Mon sourire s'agrandit quand elle me dit qu'elle n'a pas oublié. Je suis rassuré. « Je pensais jamais te revoir, pour moi c'était vraiment comme... un adieu quoi. »

•• Vastitude ? Mon ordi connaît. :ROOHH: Je lui demande alors si elle danse toujours dehors. Sait-on jamais hein ! Peut-être a-t-elle arrêté en cours de route pour se consacrer à autre chose, peut-être ne prend-elle plus que des cours de danse. Peut-être... plein de choses quoi. Puis elle me répond et j'hoche la tête avec un sourire. Je passe une main dans mes cheveux bruns pour les ébouriffer. « Je continue. Un peu moins fréquemment qu'avant, mais je ne peux pas m'empêcher. Il m'arrive de nombreux soirs de trainer avec l'espoir d'apercevoir des groupes qui dansent pour me joindre à eux. » La rue. Notre environnement à tous les deux. Notre partage. Notre maison, en quelques sortes. Je me mords la lèvre. J'aime avoir le sentiment d'être un privilégié dans ses paroles. Elle caresse ma main et je lui adresse un sourire sincère. Je lâche un petit rire & prends plus franchement sa main dans la mienne. « Tu serais surprise des progrès que j'ai pu faire depuis la dernière fois que tu m'as coachée. » je lance alors, avec un sourire encore plus grand. À douze ans, enfin à Paris quoi, je n'avais encore pas réellement pris de cours ni rien. Dès mon arrivée à NY, j'ai appris à danser tout ce qu'on pouvait m'apprendre. Le tango, la salsa, le classique, le flamenco, le rock, le jazz, le hip-hop... Tout. Je m'écarte un peu, lui tenant toujours la main, la regardant l'air de dire : « bon alors, tu me guides ? comme avant. »

•• C'est vrai, tout évolue. Nous-même on grandit. Si faut, elle aurait arrêté la danse, ou peut-être moi. Non, impossible. On a ça dans le sang, on a ça dans la peau. Plus qu'une passion, c'est un besoin. Certains ont l'instinct de survie basique, nous on l'a avec la danse. Je ne vois pas ma vie sans ça, c'est pas comme si je choisissais. Je souris. Pour moi, elle est pour beaucoup dans mon lancement dans la danse. À l'époque, elle m'a beaucoup appris. Certes, j'apprenais très vite. Mais je m'amusais comme un fou avec elle. Il est temps de vérifier si ça peut être toujours le cas. Elle commence alors à tourner sur elle-même et de ma main tenant la sienne, je l'accompagne. Puis elle me lâche. Je l'observe quelques rapides secondes... et rapidement, je me mets à danser aussi. Improvisant, comme toujours. Je me rapproche un peu d'elle, à la fois naturel & un brin aguicheur, la frôlant par moment. Je fais quelques figures au sol puis remonte, totalement à l'aise et détendu, dans mon élément à moi. Dans notre monde à nous, plutôt. Je lui lance un clin d'oeil complice.

•• Beaucoup croient en effet que la danse ne représente qu'une compétition pour nous autres danseurs. Mais ils n'y comprennent rien, vraiment rien. Ils ne comprennent pas que c'est bien plus que ça. Qu'il s'agit véritablement d'un mode de vie, d'un besoin, de notre oxygène. Mais bon, on est habitué à ce que personne ne comprenne vraiment. Je la regarde toujours faire, admirant ses pas et ses gestes, continuant moi aussi de danser, me rapprochant d'elle avec un clin d'oeil auquel elle répond. Je lui souris, et observe sa dernière figure qui, je dois avouer, est d'un niveau bien élevé. Elle me met au défi. Je suis dopé au défi, il ne faut jamais oublier que je n'en refuse jamais aucun. Je m'approche alors très soudainement d'elle et lui attrape les deux mains. Mon corps frôle le sien & je cherche son regard. « J'espère que tu sais danser le tango, ma chère. » Immédiatement après ces mots, je me mets à faire quelques premiers pas. J'adore danser le tango, même si je n'ai que quelques bases & quelques affinités, rien de bien approfondi. Je lui souris, l'entraînant avec moi.

•• De toute façon, on sait bien qu'on est fait pour s'entendre n'est-ce pas ? Aucune loi dans mon monde, et apparemment, c'est pareil dans le sien. De toute façon, s'il y avait des règles, j'aurais certainement pas pu danser dehors. Mes parents me l'interdisaient, quand j'étais gosse, et c'est pour ça que je désobéissais. Mais au fond, cela valait le coup. En voulant me retenir dans leurs filets, ils me poussaient en réalité à sauter dans le vide. À m'envoler de mes propres ailes. Je la mets au défi de me suivre dans un tango. Elle le relève, bien sûr. J'adore les gens comme ça. Jamais peur de rien. Je lui adresse un sourire carnassier et espiègle et commence alors quelques pas, m'appliquant. Le tango est une des danses que je préfère. Je trouve ça, oui, extrêmement sensuel. Puis alors, elle s'impose un peu, et je la laisse faire, la suivant à mon tour. J'aime la façon dont elle prend des libertés. Sa liberté. Je la suis, toujours à l'aise, et finis par éclater de rire. Un rire franc, sincère, heureux. La danse. C'est vraiment une des seules choses capable de me rendre heureux en quelques secondes.

•• Je l'entraîne dans le tango, que je maîtrise plutôt bien en fin de compte, et elle s'en sort bien aussi. Finalement, je me mets soudainement à rire et elle s'arrête comme si la foudre lui avait frappé sur la tête. En l'entendant, mon rire redouble d'intensité et je cesse tous mouvements, plié en deux à rire aux éclats comme un gosse. Finalement, je me calme un peu et m'approche d'elle, la prenant alors dans mes bras avec affection. « Mais non, rien de tout ça, en plus tu le danses très bien. C'est juste que je suis heureux, en fait. » Heureux de la retrouver oui. Moi qui ne m'étais plus jamais permis de penser à pareille chose, je me sens vraiment bien là avec elle, de l'avoir retrouvé, de revoir son visage, son sourire, de la revoir danser, de pouvoir danser de nouveau avec elle. « T'es pas heureuse toi ? » je demande soudain, comme si elle ne partageait pas mon bien-être et ma joie.